L’UNESCO
La fréquentation de l’Unesco m’a laissé de
magnifiques souvenirs. Comment aurait-il pu en être autrement ? De 1987 à
1997 j’ai eu la chance de travailler régulièrement pour établir des ponts entre
d’un côté le projet intégral des Routes de la Soie – Routes du Dialogue (en
relation avec l’admirable Doudou Diène) et d’autre part avec le Conseil de
l’Europe qui a exploré durant la même période les possibilités de mettre en
relation sous forme d’itinéraire les sites historiques de la soie en Europe,
des Royaumes d’Al-Andalus jusqu’à la période industrielle à Barcelona,
Valencia, Lyon ou Manchester.
Je garde un souvenir assez ébloui du jour de 1988 où
le projet de l’Unesco a été présenté à l’ensemble des ambassadeurs concernés,
tout comme des réunions à New Dehli en 1992 pour une assemblée générale du
projet et en Ouzbékistan en 1999 pour la signature de la Charte de Khiva sur la
mise en tourisme de la Route de la Soie entre l’Unesco et l’Organisation Mondiale
du Tourisme.
Je me félicite également d’avoir pu participer à des
réunions sur le tourisme culturel en relation avec Hervé Barré et avec
Jean-Louis Luxen, que ce soit pour la Charte du tourisme culturel de l’Icomos ou
bien pour celle qui concerne les itinéraires culturels. Pour cette dernière, la réunion de 1994 à Madrid m’a permis de faire la connaissance de Carmen Anon et
de Luis Vicente Elias Pastor, ce qui, même si le texte n’a pas été intégré tel
quel à la Convention du patrimoine mondial et a nécessité quinze années de
travail de spécialistes au sein du Comité des itinéraires culturels de l’Icomos,
constitue une rencontre importante dans l’apport de sens aux itinéraires
culturels.
Je n’oublie pas bien sûr les réunions communes avec
les responsables du Centre du Patrimoine mondial pour des discussions
théoriques et pratiques et la réunion des Chefs d’Etat du Sud-Est européen à Varna en 2005, précédée de la rédaction d’une motion commune au Conseil de
l’Europe, à la Commission Européenne et à l’Unesco. S’il n’était qu’un résultat
de cette rencontre au sommet, il faudrait citer cette phrase à laquelle les
représentants au plus haut niveau de pays encore récemment en guerre ont tous
adhéré : « La protection, la
présentation et l’interprétation du patrimoine culturel matériel et immatériel
doit renforcer la compréhension mutuelle et le respect du patrimoine des
autres. ».
Ces relations, espacées mais régulières, m’ont
beaucoup appris tant sur les modes de fonctionnement que sur les fondements des
textes réglementaires. Elles m’ont aussi permis de rencontrer des
fonctionnaires de mission, personnalités engagées qui non seulement exploraient
le monde, mais inventaient des projets ayant pour but pratique de renforcer les
relations interculturelles mondiales, bien au-delà des discours.
Des
missions étendues
Si je commence par ce long préambule personnel c’est
que le travail de l’Unesco impacte de manière considérable aujourd’hui la
vision que peuvent se faire les professionnels et le public du tourisme
européen. Ce travail important m’a de plus aidé personnellement à de nombreuses
reprises à mettre en perspective la réalité du tourisme culturel en Europe et
ceci de manière beaucoup plus fondamentale qu’on ne l’imagine a priori en lisant les textes fondateurs
de l’Unesco. « La mission de
l’Unesco est de contribuer à l’édification de la paix, à l’élimination de la
pauvreté, au développement durable et au dialogue interculturel par
l’éducation, les sciences, la culture, la communication et l’information. »
Ce texte n’est pas très éloigné de celui qui introduit le rôle de
l’Organisation Mondiale du Tourisme, en insistant cependant de manière évidente
sur le lien social fort qu’est celui qu’institue la transmission de la
connaissance, ce qui présage a priori d’un véritable partage des
rôles au sein des agences de Nations Unies. Mais pour aboutir à un partage
total, il eut été nécessaire que deux secteurs des activités de l’Unesco ne
prissent pas à ce point au fur et à mesure des années une importance
aussi hypertrophique : le travail d’inscription sur la Liste du Patrimoine Mondial dont la Convention fête son 40e anniversaire et le travail sur l’étude et l’enseignement du tourisme culturel
lui-même. Les deux étant en grande partie liés car, du choix de biens culturels
qui devaient faire l’objet d’une responsabilité planétaire à
l’instrumentalisation de la Liste vers un guide des « must touristiques » de la planète, il s’est produit un grand écart conceptuel
qui nécessitait de donner aux responsables des sites comme aux opérateurs qui
les mettent en tourisme ou en font des outils de développement, l’encadrement
méthodologique nécessaire pour les valoriser, les interpréter et les ouvrir à
la visite.
Mais il n’est jamais inutile de rappeler d’abord les
caractéristiques des organisations, avant d’examiner leur rôle réel.
« L’Unesco
s’emploie à créer les conditions d’un dialogue entre les civilisations, les
cultures et les peuples, fondé sur le respect de valeurs partagées par tous.
C’est par ce dialogue que le monde peut parvenir à des conceptions globales du
développement durable intégrant le respect des droits de l’homme, le respect
mutuel et la réduction de la pauvreté, tous ces points étant au cœur de la
mission de l’Unesco et de son action. Les grandes orientations et les objectifs
concrets de la communauté internationale – tels qu’énoncés dans les objectifs
de développement convenus au niveau international, notamment les Objectifs du
Millénaire pour le développement (OMD) – sous-tendent toutes les stratégies et
activités de l’Unesco. Ainsi, les compétences uniques de l’Unesco dans les
domaines de l’éducation, des sciences, de la culture, de la communication et de
l’information contribuent à la réalisation de ces buts. L’Organisation se
concentre, en particulier, sur deux priorités globales : l’Afrique et l’égalité
entre les sexes. Et plusieurs objectifs primordiaux :
•
assurer une éducation de qualité pour tous et l’apprentissage tout au long de
la vie
•
mobiliser le savoir et la politique scientifiques au service du développement
durable
•
faire face aux nouveaux défis sociaux et éthiques
•
promouvoir la diversité culturelle, le dialogue interculturel et une culture de
la paix
• édifier des sociétés du savoir inclusives
grâce à l’information et à la communication. »
Siège de l'Unesco Paris
Culture
et tourisme : des définitions implicites et explicites
Dans ce contexte, où se situent donc les missions
qui touchent au tourisme ? C’est dans la rubrique Culture que le site de
l’Unesco introduit de fait la problématique du tourisme culturel. Par
conséquent, il me semble qu’il faut poser les questions dans l’ordre. Quelle est
donc pour commencer l’approche pour l’Unesco de la culture et complémentairement
celle de la diversité culturelle ?
« Placer
la culture au cœur du développement
est un investissement capital dans l’avenir du monde, la condition du succès
d’une mondialisation bien comprise qui prenne en compte les principes de la diversité culturelle : l’Unesco a la
mission de rappeler cet enjeu capital aux nations. Comme l’a montré l’échec des
projets menés depuis les années 1970, le développement n’est pas synonyme de la
seule croissance économique. Il est un moyen d’accéder à une existence
intellectuelle, affective, morale et spirituelle satisfaisante : comme tel le développement est indivisible de la
culture. Le renforcement de la prise en compte de la culture dans les
projets de développement durable est un objectif qui a débuté dans le cadre de
la Décennie mondiale pour le développement culturel (1988-1998). Depuis, des
progrès ont été accomplis grâce à un cadre normatif d’ensemble et des outils de
démonstration : statistiques culturelles, inventaires, cartographie nationale
et régionale des ressources culturelles. »
Comme on le constate, le terme même de diversité
a pris une place essentielle dans les professions de foi, sans pour autant
appeler de définition trop précise au moment de son emploi dans les textes.
Cette notion de diversité se conçoit ou plutôt s’énonce en cohérence avec le
développement historique des institutions internationales et celle des pays membres
qui les composent ainsi que de leurs composantes publiques et privées.
L’approche de l’Unesco dans ce domaine, pour des raisons de subsidiarité,
s’adresse donc d’abord aux pays membres et à leurs partenaires (au sens
large) en les plaçant devant leurs responsabilités : « Le défi à relever
est de convaincre décideurs politiques et acteurs sociaux locaux, nationaux et
internationaux, d’intégrer les principes de la diversité culturelle et les
valeurs du pluralisme culturel dans l’ensemble des politiques, mécanismes et
pratiques publiques, via notamment des partenariats public/privé. »
La liste des secteurs culturels clefs qui sont cités
s’est un peu restreinte depuis 2011 en mettant d’abord aujourd’hui en valeur « Rio
+ 20 » et le contexte de durabilité, même si j’avais retenu fin décembre
2011 un ensemble de mots clefs qui restent bien entendu valables :
Action normative, Politiques culturelles, Mémoire du Monde, Protection du
patrimoine matériel, Protection du patrimoine culturel sous-marin, Patrimoine
oral et immatériel, Patrimoine mobilier et musées, Promotion des industries et
des atouts culturels, Mémoire de l’esclavage et de son abolition, Tourisme
patrimonial et implication des jeunes (YouthPATH-Caraïbes), Arts et artisanats
pour la subsistance dans le Pacifique, Conseil international pour l'étude des îles
du Pacifique (ICSPI), Savoirs locaux et autochtones et petites îles, Vision des
jeunes sur la vie dans les îles, Programme de participation, Points focaux de
l’UNESCO pour la culture dans les régions des PIED (Les petits États insulaires
en développement).
Voilà qui est d’abord de l’ordre de l’action et des
programmes, mais pour quelle définition générale de la culture ? En ce qui
concerne le travail le plus récent de l’Unesco, il faut bien entendu rechercher
cette définition dans la Convention de 2005. Michel Mélot écrit plaisamment
dans son ouvrage récent Mirabilia : « Le jeudi 20 octobre 2005, l’Unesco proclama la Convention pour la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles. Pas un
mot dans cet intitulé, qui ne recouvre une réalité complexe et diffuse ; pour
les experts, pas un mot qui ne soit obscur et, pour le diplomate, pas un qui ne
pose problème. » A tel point que le travail de couture et de broderie
qui a eu lieu sur les annexes en vue de donner des exemples de ce qui est
culturel et ce qui ne l’est pas, ou encore en vue de faire la part de ce qui
peut rester de la compétence de l’Organisation Mondiale du Commerce et ce qui
nécessitera de tenir compte d’une « exception culturelle » a fini par
rester lettre morte.
On lira avec grand plaisir le récit qu’en fait Michel
Mélot en insistant sur la manière dont les pays les plus menacés sur le plan
culturel s’emparent de cette convention qui doit constituer une défense contre
l’hégémonie des nations qui ont largement commencé à confisquer les moyens de
production et de diffusion des industries
culturelles et ont généré des concentrations capitalistiques puissantes. A tel
point que les Etats-Unis qui, avec Israël, se sont opposés à cette convention,
tentent très vite d’en déminer l’impact. Les lobbyistes du cinéma américain (en
l’occurrence le Président de la Motion Picture Association) mettent par exemple
en avant en 2005 le fait que « Tous
les pays qui négocient des accords commerciaux pourront donc trouver qu’il
existe toujours un point de vue culturel dans le café, la banane, le coton ou
le fromage ». Par conséquent ils pratiquent une contre-offensive. Ils utiliseront
a minima un humour dévastateur, mais
ils lanceront très vite des chars modernes contre ces murs de papier dont
viennent de bénéficier les pays les plus fragiles. La France vient donner une
raison de plus de sourire en ajoutant la même année au code rural national l’idée
que « Le foie gras fait partie du
patrimoine gastronomique en France », bataille qui continue encore
aujourd’hui avec les Etats-Unis et prend une importance disproportionnée jusque
dans les paroles du chef de l’Etat français. On sait aussi que très vite,
plusieurs pays décident de faire inscrire certaines des dimensions culinaires
ou gastronomiques identitaires – et souvent immatérielles – nationales sur les
Listes du Patrimoine mondial matériel et immatériel. « Repas gastronomique des Français »
pour la France, « Diète méditerranéenne » pour d’autres.
Si la pizza
et le maïs se sont fort heureusement égarés sur les routes complexes des
dossiers de candidature, la zone de protection de la tequila sous l’intitulé
« Paysage d'agaves et anciennes installations industrielles de Tequila » est inscrit depuis 2006 sur la Liste du Patrimoine mondial
matériel. Il est bien clair que la place prise par les tentatives de faire
classer et donc de reconnaître des productions agricoles et leurs transformations,
et donc de les protéger, dans le but de garder la maîtrise de leur diffusion ou
de leur commercialisation, pose la question des équilibres commerciaux mondiaux
et celle de la manière dont ces productions ou ces produits sont présentés aux
publics et en particulier aux touristes.
La dimension oenogastronomique culturelle, surveillée par exemple de près, avec conviction et succès par slow food est parfois inscrite dans une démarche d’itinéraire culturel mettant en valeur des productions identitaires typiques et locales (blé, vin, huile d’olive…). Le sujet mérite qu’on y revienne plus en détails compte tenu de la multiplication des labels nationaux et européens dans ces domaines et des thématiques déjà reconnues par le Conseil de l’Europe, ou sur le chemin de l’être. Mais en dehors de la constatation assez banale « La culture est sujette au commerce », une définition plus ontogénique de la culture reste en effet toujours à donner dans un cadre mondialisé et concurrentiel qui devient très vite conflictuel sur le plan géopolitique.
La dimension oenogastronomique culturelle, surveillée par exemple de près, avec conviction et succès par slow food est parfois inscrite dans une démarche d’itinéraire culturel mettant en valeur des productions identitaires typiques et locales (blé, vin, huile d’olive…). Le sujet mérite qu’on y revienne plus en détails compte tenu de la multiplication des labels nationaux et européens dans ces domaines et des thématiques déjà reconnues par le Conseil de l’Europe, ou sur le chemin de l’être. Mais en dehors de la constatation assez banale « La culture est sujette au commerce », une définition plus ontogénique de la culture reste en effet toujours à donner dans un cadre mondialisé et concurrentiel qui devient très vite conflictuel sur le plan géopolitique.
Michel Mélot rappelle qu’une « Définition de la culture a été proposée dans
la Déclaration universelle sur la diversité culturelle du 2 novembre 2001 votée
à l’unanimité qui prolonge la première Proclamation des chefs-d’œuvre du
patrimoine oral et immatériel de l’humanité du 18 mai. » Son article 4,
paragraphe 1 est ainsi rédigé : « La
culture désigne l’ensemble des traits distinctifs spirituels et matériels,
intellectuels et affectifs qui caractérisent une société ou un groupe social et
englobe, outre les arts et les lettres, les modes de vie, les façons de vivre
ensemble, les systèmes de valeur, les traditions et les croyances. »
L’ancien directeur de l’Inventaire général du patrimoine français rappelle
également les termes utilisés pour désigner le patrimoine immatériel (Conventionpour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel du 17 octobre 2003). Il
est d’autant plus légitimé de la faire puisque la question est constamment
soulevée de la limite entre tangible et intangible. Où se situe en effet la
frontière entre d’une part le génie des lieux bâtis et celui des paysages culturels
et d’autre part le résultat des pratiques traditionnelles qui les ont rendu
nécessaires ou les ont même façonnés ? Est-ce une mise en valeur des
paysages culturels de la vigne ou des pratiques viticoles et de la qualité
du vin dont on parle ? Sont-ce les paysages culturels de l’olivier ou la production
d’huile d’olive, voire de la symbolique de la paix universelle qu’on
évoque ou qu’on labellise ? Est-ce l’une des pratiques de l’agropastoralisme, de
la transhumance ou bien le classement des fromages en appellations contrôlées
qu’on place sous les feux de l’actualité ?
Route de l'Olivier. Cliché T. Vamvakas
La reconnaissance d’un patrimoine par ceux qui en
sont à l’origine ou qui en ont la garde, qui sont responsables de sa
sauvegarde, qui en partagent la responsabilité de manière collective est ainsi devenue
pour beaucoup d’institutions une valeur clef. Elle renvoie ainsi la question
des définitions vers les créateurs du patrimoine eux-mêmes (les civilisations qui
les ont engendrés mais aussi les découvreurs des civilisations) et vers les
usagers locaux et extérieurs.
Au fond si je résume, la culture est donc ce que
les praticiens et les usagers désignent ainsi. Le patrimoine de son côté se
définit grâce à sa reconnaissance par ceux qui le désignent et le paysage
culturel est une création sociale sur laquelle les populations se mettent
d’accord dans le but d’en déterminer les responsables.
Une affaire de consensus, en quelque sorte. On sait
pourtant que les patrimoines de la discorde sont légions.
Il ne s’agit pas d’aller beaucoup plus loin dans
cette présentation qui ne vise à ce stade que de souligner des imprécisions doctrinales
et des difficultés sémantiques et politiques. Nous n’aborderons pas les notions
conceptuelles liées à l’usage des mots dans des langues européennes différentes,
ni la définition à « géométrie
variable » de l’idée de diversité. Mais on voit bien que la définition
et la limite du tourisme culturel telles qu'elles sont pratiquées par l’Unesco n’en revêtent que plus de difficultés, surtout
qu’on ne le classe jamais vraiment dans les industries culturelles alors qu’on
parle pourtant des « industries du tourisme » quand on s’adresse à la
plus importante part du marché.
Le tourisme culturel est-il donc une expression de
la culture ou une action culturelle spécifique comparable au théâtre ou aux
expositions tenues dans des musées et donc confinée par conséquent au stade de
la production artisanale ou bien au contraire une industrie culturelle créative à part
entière, inscrite dans une chaîne de production qui part de l’inventeur du
concept et de ceux qui l’entourent. Une équipe qui, pour le tourisme culturel,
réunit des chercheurs, scénaristes, scénographes, designers, architectes et architectes
paysagistes. Mais surtout une filière à part entière qui requiert donc un ou
plusieurs producteurs pour le financer et / ou le subventionner, ainsi que des
publicitaires et des agents de marketing pour créer le rêve et la demande et enfin
des opérateurs pour en vendre les produits ?
Tourisme culturel. Site web de l'ICOM
L'Unesco, cette organisation internationale – mais elle n’est
pas la seule - n’a pas pu donner de définition précise de ce qui fonde le
tourisme culturel, à savoir la visite culturelle et la connaissance des
expressions culturelles dans leur diversité, en tout cas n’a pas pu apporter une
définition qui s’adapte à tous les pays membres puisque la culture est par
nature polysémique.
Comme dans beaucoup d’autres domaines où l’équilibre
géopolitique est essentiel, les définitions consensuelles sont difficiles et
quand on arrive à les rédiger et à leur donner forme, elles génèrent des
évidences banales sans intérêt pratique. Définir de manière unanime la culture
et la diversité culturelle est de toute évidence impossible puisqu’il s’agit de
lutter contre la globalisation qui, par essence, ne tient compte que de la
définition du plus fort et non de la diversité des concepts. On tourne ainsi en
rond, mais au moins les lignes de défense ont été placées et les outils de
protection ont été forgés, ce qui n’est pas rien.
Via Francigena.
Tourisme
culturel versus culture et tourisme
Il n’empêche que le tourisme culturel est sur la
sellette de l’Unesco en permanence. J’ai déjà eu l’occasion de donner mon point
de vue interrogatif sur l’emploi de cette expression dont on ne peut
malheureusement plus se passer tant elle est utilisée aujourd’hui par les
décideurs et des opérateurs. Là encore, le texte introductif qui se trouve sur
le site de l’Unesco s’est de beaucoup simplifié de 2011 à 2012.
J’avais noté il y a peu de temps la formulation
suivante qui avait tendance à appuyer sur le terme « ressources » et sur l’idée d’une « nouvelle culture du tourisme »
plutôt que sur le terme tourisme culturel lui-même: « Au sein de l’UNESCO, de nombreuses initiatives tentent de promouvoir
une nouvelle culture du tourisme, fondée sur le bon sens et sur l’utilisation
responsable des ressources environnementales et des atouts culturels de chaque
destination particulière. Comme décrit dans la contribution de l’Organisation
au Sommet Mondial sur l’Eco-tourisme (Québec, Canada, mai 2002), les actions
menées comptent des contributions intellectuelles, la promotion de principes
éthiques, et des mises à l’épreuve concrètes, sur le terrain, des approches
« durables » du tourisme. L’Organisation a à la fois un rôle normatif et une fonction de
définition de standards. Ce travail
implique une coopération et des partenariats avec un large éventail d’autres
acteurs. Quelques exemples d’axes de travail suivaient :
°
Le tourisme et le patrimoine mondial
°
Le tourisme et les réserves de biosphère
°
Tourisme patrimonial et implication des jeunes : Youth Path-Caraïbes
°
Tourisme culturel et route du patrimoine de la diaspora africaine
°
Tourisme marin et côtier au sein du programme de la COI
°
Forum de discussion Web
°
Avant-projet de directives internationales pour le tourisme durable
°
Opérations conjointes avec les tours-opérateurs
°
Enseigner et apprendre pour un futur plus viable
°
Le tourisme et le forum WiCOP (White
Sea - Barents Sea region, northern Russia)
°
Initiatives d’ONG
°
Programme de participation
°
Points focaux de l’UNESCO pour les "Ressources touristiques" dans les
régions des PEID (Les
petits États insulaires en développement)
Je note aujourd’hui la présence d’un texte mettant
beaucoup plus en évidence l’approche
sensible de la culture intitulé « Vers un tourisme réfléchi et attentif à la culture de
l’autre », c’est-à-dire d’un texte qui prête une grande importance de
la dimension anthropologique : « Nul
besoin de preuves pour soutenir l’affirmation selon laquelle le tourisme peut
être le meilleur ami aussi bien que le pire ennemi du développement. Étant
donné le poids économique de l’industrie touristique – actuellement considérée
comme la plus importante du monde, devant les industries automobiles et
chimiques – une grande attention doit être accordée à ce phénomène aux
dimensions multiples et aux conséquences planétaires. L’impact du tourisme est tel que des stratégies novatrices sont une
nécessité absolue pour mettre les jalons de véritables politiques
internationales, régionales et locales. L’Unesco entend accompagner ses 191
États membres dans la formulation de leurs politiques en repensant la relation
entre tourisme et diversité culturelle, entre tourisme et dialogue
interculturel, entre tourisme et développement. C’est ainsi qu’elle pense
contribuer à la lutte contre la pauvreté, à la défense de l’environnement et à
une appréciation mutuelle des cultures.
Projets
phares dans le monde :
°
Programme de tourisme durable
°
Routes thématiques et tourisme culturel
°
Tourisme culturel et écotourisme dans les régions montagneuses de l'Asie
centrale et dans les Himalayas
°
Le Sahara des cultures et des peuples
°
Le programme des chaires UNESCO sur le tourisme culturel
°
Préserver le sourire khmer : pour un tourisme
éthique
°
Tourisme culturel dans les pays baltes
°
Youth Path : tourisme communautaire dans les Caraïbes
°
Villes du patrimoine et tourisme durable
°
La route du "gaucho"
°
Programme de développement du Bassin de la mer d'Aral.
Kernavé, Lituanie. Site du patrimoine mondial.
Quelle relation de l’Unesco avec le tourisme de la Destination Europe ?
Itinéraires
culturels
En examinant ces deux introductions et ces deux listes de programmes successives, je me trouve de nouveau devant l’impossibilité d’entrer dans tous les détails, mais fort heureusement, plusieurs mots clefs me guident dans le choix des priorités immédiates de cet exposé.
Je ne souhaite donc retenir dans un premier temps que certaines des initiatives principales qui touchent très directement le tourisme européen. Je reviendrai plus tard sur d’autres programmes plus en détails, mais de toute manière, chaque objectif présenté sur le site de l’Unesco comporte un lien hypertexte qui conduit à une page permettant de mieux comprendre les démarches sous-jacentes pour ceux qui souhaitent tout de suite en savoir plus. J’ai retenu de ce fait dans le cadre européen d’une part les programmes d’itinéraires culturels liés à l’Unesco et qui se croisent avec ceux de l’OMT, de la Commission Européenne et du Conseil de l’Europe et d’autre part les ressources qui ont été mises en place en termes de recherche et d’enseignement pour mieux « encadrer » le tourisme culturel.
J’ai déjà indiqué que la notion d’itinéraire
culturel était mentionnée à plusieurs reprises sur le site de l’Unesco. « Cette organisation a fait figurer les Routes
du patrimoine en tant que type spécifique de bien dans la dernière version de
l’Orientation devant guider la mise en œuvre
de la Convention du Patrimoine mondial. On y introduit un aspect nouveau
dans leur définition: une route du patrimoine peut être considérée comme un
type spécifique et dynamique de paysage culturel » précisait le
Professeur Krestev, membre éminent du Comité de l’Icomos sur les itinéraires
culturels, au début des années deux mille dans un article sur les corridors
culturels et sur la comparaison des démarches concernant les itinéraires
culturels dans différentes institutions.
La notion d’itinéraire culturel selon
l’Unesco est d’autant plus prégnante aujourd’hui que la Charte de l’Icomos sur les itinéraires culturels doit permettre de donner une base à ceux qui
recherchent un futur classement d’itinéraires culturels nationaux sur la Liste
du patrimoine mondial en suivant une liste de critères précis et une série de
recommandations. C’est au cours d’un colloque à Sienne en 2010 dont les textes
ont été publiés fin 2011, que plusieurs des représentants européens de l’Icomos
sont intervenus dans ce sens (Les Vie
della Cultura 26-27 mars 2009, colloque suivi d’une seconde réunion les 14
et 15 juillet 2011).
Il est cependant nécessaire de redire qu’il n’existe
pas au sein de l’Unesco, contrairement au Conseil de l’Europe, un programme
unifié d’itinéraires culturels. Les itinéraires culturels auxquels l’Unesco a
donné son aval ont été mis en avant dans différents cadres, pour différents
usages ou pour répondre à des questions - je dirais souvent d’efficacité
immédiate - posées par les pays membres. Certains devaient permettre de redonner un élan à une large coopération interétatique – c’était le cas de la Route de la Soie à son origine - ou bien parce qu’ils constituent des axes de lecture et de travail intracontinentaux, ou bien encore parce qu’ils soulignent des épisodes historiques qui ont été caractérisés par la domination de certains continents sur d’autres et que la restitution de la mémoire géopolitique des rapports entre monde développé et tiers-monde est à ce prix. Certains enfin comme les Routes de l’Olivier ont été reconnus par la conférence générale à la demande de plusieurs pays.
Les itinéraires culturels qui sont cités le plus souvent concernent l’Asie (la Route de la Soie), l’Afrique (La Route de l’Esclave ou la Route du Fer) et l’Amérique du Sud (la Route de l’Inca (demande du Pérou pour inscription sur la Liste du patrimoine mondial), la Route du gaucho ou bien encore la Route du cacao). Les Routes du Danube ou de la Volga ont fait l’objet de programmes dans des contextes de mobilisation des jeunes ou pour répondre à des besoins de développement local.
La plupart de ces routes possèdent par nature un lien historique fort avec l’idée de mettre en perspective une Europe dominatrice : l’Europe des Découvertes et de l’évangélisation, comme l’Europe commerciale et coloniale, à l’exemple de l'histoire du commerce triangulaire. Le travail de quelques années que l’Unesco a entrepris sur les Espaces du Baroque à la fin du siècle dernier et qui s’est accompagné d’une certaine collaboration avec le Conseil de l’Europe était également fondé sur l’exportation des styles du Baroque vers l’Amérique du Sud, voire l’Orient colonial, un style importé essentiellement dans les valises des Jésuites. La Route de Saint-François Xavier dont le dossier vise l’inscription sur la Liste du Patrimoine mondial en témoigne également très clairement.
Route de François Xavier. Jordi Savall
Ces Routes démontrent plus rarement dans le sens inverse l’apport culturel d’autres continents à l’Europe comme le fait par contre intelligemment le travail transcontinental de l’itinéraire de l’héritage d’Al-Andalus ou bien encore la mise en valeur de routes à double sens comme les Routes de la Soie terrestres et maritimes. Là encore je ne manquerai pas de revenir sur les corpus scientifiques et interprétatifs auxquels ces projets ont donné naissance et sur les publications voire les productions sonores et les films qu’ils ont générés.
Les populations des continents concernés par ces exportations « civilisatrices » ont d’ailleurs fait un fort retour culturel, une sorte de vengeance à long terme, si je puis me permettre l’expression, en s’intégrant à la musique, à la cuisine, voire aux modes de vie multi ou interculturels des sociétés européennes contemporaines, ce qui mériterait de faire partie intégrante des itinéraires en question pour les articuler de meilleure manière à la société contemporaine. Il s’agit là d’un domaine passionnant traitant aussi bien des émigrations, des phénomènes d’aculturation, tout autant que des phénomènes de modes. Il mérite à lui seul bien entendu un approfondissement sérieux car son impact sur nos inconscients et l’évolution de nos modes de vie est extrêmement significatif. De ce fait même, les titres de ces grands parcours prennent une importance considérable dans les messages employés par les opérateurs pour mettre de tels « rêves » en tourisme et nous attirer par exemple sur des navires de croisière ou vers des marches collectives sur les sentiers de trekking.
Exposition "Paroles d'esclaves, Mémoire des lieux"
Siège de l'Unesco Paris, mai 2012
Parallèlement, j’évoquais en commençant le fait que l’idée de corridor culturel a pris pendant quelques années une place importante dans les réflexions des institutions européennes et de l’Unesco. « La notion de Corridor culturel a été lancée pour la première fois en 1974 par le professeur roumain Razvan Theodorescu pour caractériser un phénomène spécifique de l’Europe du Sud-Est: les directions territoriales traditionnelles de la région au long desquelles circulent des biens culturels, des idées, des innovations etc., dans une continuité permanente de liens, d’influences et d’interactions. » Ainsi les décrits le Professeur Krestev dans plusieurs publications présentées entre 2000 et 2007 dont l’esprit se retrouve parfaitement illustré sur le site web des corridors du Sud-Est européen. “South East Europe has been a real crossroads of civilizations and religions through the centuries; a mediator between the East and the West, the North and the South, transpierced by internal connections and influences, bound up by common historical routes. As a result, in time, cultural corridors in the region have been formed - trans-national axes of century-old interactions – the living memory of the civilizations and strong connections between the peoples, which inhabit the region. Please, get to know these cultural roads, which have preserved their vitality from the ancient times until today!”
Les corridors ainsi envisagés sont les suivants : Danube Road, Diagonal Road, Eastern Trans-Balkan Road, Sofia-Ohrid Road, Via Adriatica, Via Anatolia, Via Egnatia, Via Pontica et Western Trans-Balkan Road.
Forum de Varna 2005
Dans l’immédiat de ce post, je ne veux retenir que le rapport des itinéraires européens au tourisme lié au patrimoine mondial, en laissant de côté les autres sites classés (comme les réserves intégrales…) ou labellisés (comme les géoparcs…), ou encore ceux qui sont liés à la mémoire du monde qui peuvent se retrouver inclus ou à l’origine d’un itinéraire culturel. J’aurai l’occasion d’y revenir.
La manière dont certains itinéraires culturels ont été classés sur la Liste du patrimoine mondial mérite pourtant quelques mots d’explication. Le Professeur Jordi Tresseras en a fait une liste qui est donnée dans le rapport préparé par leConseil de l’Europe et l’Union européenne sur l’impact des itinéraires culturels. Elle comporte surtout des routes qui se trouvent dans des processus d’analyse ou sur les Listes nationales approuvées par l’Unesco (Tentatives Lists) : “Cultural Routes” is also a category for World Heritage sites, including pilgrim Routes such as the Saint James’ Way (Santiago de Compostela Pilgrim Routes), which includes the French trail in Spain (since 1993) and the four ways in France (since 1998). Cultural corridors as historic trails, borders or railways can also be included in the World Heritage List as cultural landscapes, for example, the Rhaetian railway in the Albula/Bernina landscapes or the Frontiers of the Roman Empire (German limes, Hadrian’s Wall and Antonine Wall). Other related sites are included in the UNESCO Tentative List, including some Roman ways and borders, such as the Bavay-Tongres Trail on the Roman Way from Boulogne to Cologne (Belgium), Via Appia – Regina Viarum (Italy), Via Domitia (France), the Frontiers of the Roman Empire – Ripa Pannonica (Hungary), Limes Romanus – Middle Danube (Slovakia) and the Silver Route. Other examples are the Mozarab Trail to Santiago de Compostela (Spain), Caspian Shore Defensive Constructions (Azerbaijan), Transhumance78 – The Royal Shepherd’s Track (Italy), the Saint Francis Xavier Cultural Route (between Orient and Occident, proposed by Spain and passing through Spain, the Philippines and India), and the Mercury Route on the Camino Real (Spanish Royal Way, as a joint project between Mexico, Slovenia and Spain).”
Comme on le voit cette liste est longue et je suis certain qu’elle n’est pas tout à fait complète puisque le gouvernement italien par exemple envisage le classement de la Via Francigena en Italie et que d’autres pays européens étudient la manière d’intégrer des fragments de l’itinéraire de Saint-Jacques de Compostelle (La Voie du nord en Espagne par exemple) ou des segments de la Route de l’Ambre.
Ce que cette liste ne dit pas, c’est que seuls les
Chemins de Saint-Jacques de Compostelle ont fait aujourd’hui l’objet d’un
classement mondial. Ils méritent bien ce classement – qu’on ne se méprenne pas à ce
sujet – mais leur introduction dans la Liste a parfois suivi des voies
étranges.
Le « Caminofrancès » a bénéficié en 1993 d’un classement plutôt dérogatoire
puisqu’aucune référence n’était faite dans la Convention du patrimoine mondial
à cet objet patrimonial d’un genre nouveau, d’où la réunion de Madrid de 1994
qui devait pallier ce manque. Il faut cependant préciser que le travail de
description de cet objet complexe effectué par le Ministère de la Culture espagnol
a été remarquable en tous points. Si je peux en témoigner, c’est que j’ai pu à
l’époque en consulter les documents. De plus un « Conseil jacobéen »
réunissant l’Etat central et les gouvernements autonomes concernés accompagne
depuis une dizaine d’années les efforts de gouvernance et les approches
méthodologiques avec un accent particulier lors des années saintes, car cet
objet patrimonial n’est pas seulement complexe par son hétérogénéité, mais bien
plus encore du fait qu’il dépend d’un grand nombre de collectivités et de
niveaux de décision empilés et complémentaires. C’est une question que le
gouvernement espagnol avait demandé au Conseil de l’Europe d’étudier et qui a
fait l’objet d’un colloque à l’automne 1993, grâce au travail de Carmen Pinan
qui travaille aujourd’hui à l’Unesco et du secrétariat de Strasbourg dont
je faisais partie.
Lorsque la France a introduit une demande du même
ordre et a obtenu le classement fin 1998, le dossier n’a pas pu être traité de
la même manière puisque le classement aurait dû concerner un grand nombre de
chemins dont la revendication historique croisait dangereusement des
revendications régionales et locales souvent contradictoires. Le groupe
d’experts de l’Icomos où travaillait à ce moment-là Valéry Patin a choisi la
solution d’une liste de sites très hétérogènes, mais bien répartis
géographiquement (Régions d’Aquitaine, Auvergne, Basse-Normandie, Bourgogne,
Centre, Champagne-Ardenne, Ile-de-France, Languedoc-Roussillon, Limousin,
Midi-Pyrénées, Picardie, Poitou-Charentes et Provence-Alpes-Côte d’Azur), dont
certains sont d’ailleurs seulement en train de recevoir leur mention
officiellement quatorze années plus tard, ce qui n’est pas le moindre des
paradoxes et dans tous les cas démontre les difficultés de mobilisation et d'application d'un cadre éthique quand l'ensemble est aussi hétérogène. A preuve que dans ce domaine rien n’est simple. Ce n’est pas l’Etat
français qui s’est directement chargé de la gouvernance de cet ensemble, ou du
moins puisque le terme est un peu fort, de l’harmonisation du travail commun,
mais une association interrégionale : l’ACIR.
Cathédrale de Saint Jacques de Compostelle
« Aux fins de la présente Convention sont
considérés comme « patrimoine culturel
» :
- les monuments : œuvres architecturales, de sculpture ou de peinture
monumentales, éléments ou structures de caractère archéologique, inscriptions,
grottes et groupes d’éléments, qui ont une valeur universelle exceptionnelle du
point de vue de l’histoire, de l’art ou de la science,
- les ensembles : groupes de constructions isolées ou réunies, qui,
en raison de leur architecture, de leur unité, ou de leur intégration dans le
paysage, ont une valeur universelle exceptionnelle du point de vue de
l’histoire, de l’art ou de la science,
- les sites : œuvres de l’homme ou œuvres conjuguées de l’homme et de
la nature, ainsi que les zones y compris les sites archéologiques qui ont une
valeur universelle exceptionnelle du point de vue historique, esthétique,
ethnologique ou anthropologique. »
De plus, « Les
paysages culturels sont des biens culturels et représentent les « œuvres
conjuguées de l’homme et de la nature » mentionnées à l’article 1 de la
Convention. Ils illustrent l’évolution de la société humaine et son établissement
au cours du temps, sous l’influence des contraintes physiques et/ou des
possibilités présentées par leur environnement naturel et des forces sociales,
économiques et culturelles successives, externes aussi bien qu’internes. »
Dans ces « Orientations », certaines
catégories de biens sont étudiées de plus près dans la mesure où ils posent
justement la question des limites dans lesquelles ils s’incrivent ou de la
complexité de leur structure : « Le
Comité du patrimoine mondial a identifié et défini plusieurs catégories
spécifiques de biens ayant une valeur culturelle et/ou naturelle et a adopté
des orientations spécifiques pour faciliter l’évaluation de ces biens quand ils
sont proposés pour inscription sur la Liste du patrimoine mondial. A ce jour,
ces catégories sont les suivantes, sachant que d’autres s’y ajouteront
probablement en temps voulu : paysages
culturels ; villes et centres-villes historiques ; canaux du patrimoine et routes du patrimoine. » En
ajoutant : « Le concept de «
routes » ou itinéraires culturels a été débattu lors de la réunion d’experts
sur « Les routes en tant que parties intégrantes de notre patrimoine culturel »
(Madrid, Espagne, novembre 1994). » Et encore : « Le concept de routes du patrimoine s’avère
riche et fertile. Il offre un cadre privilégié dans lequel peuvent se
développer une compréhension mutuelle,
une approche plurielle de l’histoire, et la culture de la paix…Une route du
patrimoine est composée d’éléments matériels qui doivent leur valeur culturelle
aux échanges et à un dialogue
multidimensionnel entre les pays ou régions, et qui illustrent l’interaction du mouvement, tout au long de
la route, dans l’espace et le temps »
En ce qui concerne leur inscription, les précisions
suivantes sont données : « Les
points suivants devront être considérés pour déterminer s’il convient
d’inscrire une route du patrimoine sur la Liste du patrimoine mondial :
(i) La condition nécessaire de valeur universelle exceptionnelle doit
être rappelée.
(ii) Le concept de routes du patrimoine :
- est
fondé sur la dynamique du mouvement et
l’idée d’échanges, avec continuité dans l’espace et le temps ;
- se
réfère à un tout dans lequel la route a une
valeur supérieure à la somme de ses éléments constitutifs qui lui donnent
son importance culturelle ;
- met en lumière l’échange et le dialogue entre les pays ou entre les régions ;
- est
multidimensionnel, avec différents
aspects qui développent et complètent son objectif initial qui peut être
religieux, commercial, administratif ou autre.
(iii) Une route du patrimoine peut être considérée comme un type spécifique et dynamique de paysage
culturel, au moment où de récents débats ont abouti à leur acceptation dans
les Orientations.
(iv) L’identification d’une route du patrimoine est fondée sur un ensemble de forces et d’éléments
matériels qui témoignent de l’importance de ladite route.
(v) Les
conditions d’authenticité doivent
être appliquées en raison de leur importance et d’autres éléments constitutifs
de la route du patrimoine. Elles devront prendre en compte la longueur de la route, et peut-être sa fréquence actuelle
d’utilisation, ainsi que les souhaits
légitimes de développement des personnes concernées.
Ces
points seront étudiés dans le cadre naturel de la route et de ses dimensions immatérielles et symboliques. »
En suivant ce texte on doit certainement comprendre
pourquoi deux routes européennes, dans leurs composantes nationales et
deux routes seulement sont inscrites sur la Liste. D’un côté, le classement à
partir de listes nationales rend le traitement des itinéraires transfrontaliers
très difficiles, sauf accord préalable de plusieurs pays concernés qui décident
de faire la démarche de manière simultanée et d’un autre côté l’instruction des
dossiers est encore plus complexe que celle des canaux ou des paysages
culturels qui restent tout de même beaucoup plus localisés géographiquement, même s'ils peuvent se déployer de manière transfrontalière.
Tourisme
culturel et cultures du tourisme
Compte tenu de tous les éléments complexes qui concernent
tant les définitions que la prudence nécessaire à la mise en œuvre du tourisme
culturel et des itinéraires culturels, au sens que l’Unesco donne à ces notions,
le travail des réseaux de recherche et d’enseignement qui se sont développés
pour former des responsables de ce nouveau tourisme sur des bases scientifiques
anthropologiques théoriques et pratiques était devenu une nécessité absolue. Il
est, il faut l'avouer, très impressionnant.
Il a été inauguré par le réseau Programme UNITWIN / Chaires
Unesco lancé en 1992 et représente pour l’Organisation un instrument privilégié
de la coopération Nord – Sud et Sud – Sud « Par le renforcement des capacités, la formation et la mise en commun
des connaissances entre universités, instituts de recherche, organisations
issues de la société civile, et des secteurs public et privé. Ce réseau
constitue une plateforme de compétences et de coopérations pour les
universitaires des Etats membres de l’Unesco dans le domaine du tourisme
culturel. Les Conventions internationales adoptées par l’Unesco et les
recommandations des grandes Conférences internationales dans les domaines des
politiques culturelles et du développement durable servent de cadre de
référence aux actions proposées. »
La Sorbonne, Paris.
C'est dans un esprit de partage de savoir et
d'humanisme que l'Université Paris 1 Panthéon- Sorbonne a créé en 1998, en
coopération avec l'Unesco et en étroite collaboration avec son Institut de
Recherche et d'Etudes Supérieures du Tourisme (I.R.E.S.T.), une Chaire Unesco dans
le domaine de la Culture, du Tourisme et du Développement. « L'attractivité de la Chaire et son
rayonnement se sont concrétisés par un nombre toujours plus grand de demandes
de partenariats émanant d'universités étrangères et d'ambassades de France,
comme en témoigne au début de l'année 2002, un bilan de 21 projets intéressant
26 pays et 41 universités. Une première conséquence de ces résultats est la
création à la demande de l'Unesco du " Réseau UNITWIN Culture - tourisme -développement " dont Paris 1 est l'université coordonnatrice, la seconde
étant la délivrance par la Chaire d'un " label d'excellence ". Ce
label est destiné à valoriser dans chacun des pays partenaires les Doctorats,
Maîtrises et Centres de Recherches et d'études Expérimentales et
Professionnelles, impliquant les acteurs locaux (populations, organisations
publiques, entreprises privées) et conduisant à un développement reposant sur
la " mise en tourisme durable " du patrimoine naturel et culturel. »
Les deux premières rencontres du réseau UNESCO / UNITWIN
« Culture, tourisme et développement » ont eu lieu le 18 mars 2005 (Paris,Unesco) et les 11-12 mai 2006 (Gréoux-les-Bains). Elles ont inauguré une série
d’analyses thématiques dont on peut trouver les résumés sur le site web de
l’Unesco. Parmi les plus récentes, le thème du tourisme lié à certaines
catégories de sites du patrimoine mondial, puis à celui des itinéraires
culturels – sous différents aspects - est devenu récurrent. Nous en donnons
l’actualité et les appels à communication régulièrement sur le site de curating
scoop.it dont les derniers posts sont affichés à droite des textes de ce blog dans un widget.
Il est certainement utile dans ce cadre de reprendre
le résumé du colloque de 2005 dans lequel, avant d’analyser les
enjeux de l’interdépendance entre tourisme et culture, sont reprises les
différentes cultures du tourisme (Ce rapport a été rédigé par Laure Veirier,
consultante à l’Unesco qui cite pour cette partie Jafar Jafari (Université de Canberra).
• La culture d’accueil (« host culture ») : c’est celle qui est peut-être la plus facilement
repérable et qui pourtant n’est pas enseignée dans les universités des pays
hôtes, comme si les cultures nationales étaient connues des étudiants, alors
que nous connaissons mal nos cultures tellement elles font partie de notre
quotidien. Il est indispensable de comprendre en quoi cette culture peut avoir
une influence sur le tourisme proposé et non pas comme c’est souvent le cas
pour en extraire des attractions supposées intéresser les touristes.
• La culture du touriste hôte (« guest culture » / « tourist culture »)
: il est important de comprendre comment le touriste se comporte en dehors de
chez lui ; comprendre comment un individu « chez lui » se transforme en
touriste émancipé avec des attentes et des comportements particuliers, pas
forcément respectueux d’ailleurs de sa propre culture ni de celle de la
destination dans laquelle il se trouve.
• La culture « résiduelle » (« residual culture ») : c’est la part de culture que le touriste
porte en lui lors de ses voyages ; c’est ainsi que l’on repère souvent les
touristes en fonction de leur pays d’origine (les touristes allemands,
japonais, français, etc.) dans un contexte ou un pays donné. Ces touristes ont
des attentes en commun et des représentations du pays d’accueil qui nécessitent
d’être comprises et non stéréotypées.
• La « corporate
culture » : il s’agit de la culture de l’industrie touristique, du
business, de la gestion ; elle a sa spécificité et se différencie nettement des
autres industries.
Toutes ces cultures s’interpénètrent (« culture mix ») et ce qui en résulte est
très variable et spécifique à chaque contexte et en fonction des marchés
réceptifs, ce qui explique en quoi les modèles standard ont une portée limitée
car ils ne peuvent répondre à cette complexité. Il est donc important de distinguer le tourisme culturel des effets
culturels du tourisme.
En dehors de cette analyse sémiologique et
opérationnelle, ces réunions ont également proposé de renforcer les
enseignements du tourisme dans les directions suivantes :
• Sur le plan
méthodologique : recourir à des outils d’analyse systémique et de réflexion
prospective destinés à intégrer les différentes dimensions quantitatives et
qualitatives du tourisme durable tout en développant l’utilisation du e-learning;
• Sur le plan
conceptuel : renforcer la pluridisciplinarité en introduisant des
disciplines comme l’anthropologie, la sociologie, la psychologie ou encore la
géographie humaine, et inclure les principes et instruments normatifs des
Nations Unies et de l’UNESCO en particulier afin d’intégrer les aspects sociaux
et culturels au domaine économique ;
• Sur le plan
pratique : adapter les programmes aux besoins spécifiques des futurs
décideurs et développer un esprit plus critique en ayant recours aux expériences
de terrain et études de cas en partenariat avec les acteurs publics et privés du
tourisme.
Si la coupure fonctionnelle entre les institutions a
trop longtemps régné pour ce qui concerne des itinéraires culturels ou les
actions liées au tourisme culturel, au point que les labels se croisent sur les
mêmes parcours sans vraiment se rencontrer, on doit espérer dans un
rapprochement plus grand à l’avenir entre l’Unesco, l’Union européenne et le
Conseil de l’Europe, au moins pour ce qui concerne l’Europe. On y reviendra
dans l’examen des politiques touristiques relancées depuis 2010 par l’Union
européenne qui souhaite de toute évidence s’appuyer en partie sur tous les
labels pour relancer la filière du tourisme culturel et durable de la
Destination Europe. Mais c’est certainement dans le domaine de la recherche et
dans celui de l’enseignement que la coupure n’a que trop duré. Le réseau
UNITWIN a acquis aujourd’hui suffisamment d’expérience dans ces domaines pour
que le Conseil de l’Europe qui cherche à améliorer la formation et les
compétences des professionnels des itinéraires culturels ne réinvente pas la
roue et s’appuie sur ce savoir-faire en le complétant et en l’enrichissant des
modèles qui lui sont propres.
On doit certainement noter comme un signe
très encourageant le fait que la composante italienne du Réseau UNITWIN est
entrée dans un programme reliant le Conseil de l’Europe et l’Union européenne,
le projet « Per Viam » qui regroupe un certain nombre d’itinéraires
culturels de pèlerinage. J’ai toujours souhaité ce rapprochement pour en avoir
expérimenté l’efficacité de Commission communes Unesco – Conseil de l’Europe
pour les Routes de la Soie en Europe dans les années 80 et je suis certain que
le temps est revenu pour remettre en place une telle coopération de manière
sereine et qu’il faut donc le saisir.
L’Unesco
et la doctrine du tourisme culturel
Je cherche à privilégier une vision optimiste de
l’avenir du tourisme culturel en Europe, tout comme une vision optimiste de
l’évolution synergique des cultures du tourisme citées plus haut. C’est pourquoi je mets
en relief les effets culturels positifs à long terme des mouvements
touristiques tels qu’ils évoluent. Mais je suis bien conscient que les
entreprises normatives et réglementaires, ainsi que l’accumulation des
opérations de légitimation dont l’Unesco est devenu le symbole avec le succès
grand public de la Liste du patrimoine mondial ouvrent la porte à des excès et
des contraintes ou pour le moins à des tensions contraires entre durabilité et
marché, démarches individuelles flexibles et initiatives collectives, économie
sociale et rentabilité des investissements.
La recherche d’un « bon tourisme » suit
d’abord un processus vertueux, comme celui qui sous-tend les itinéraires
culturels, beaucoup plus que l’application d’un label culturel sur un produit
touristique fini. Saskia Cousin a longuement travaillé sur les « Usages et enjeux des politiques de tourisme culturel ». Dans un article essentiel dont j’ai repris le titre pour ce chapitre, elle présente de manière dialectique les étapes de la construction d’une idée du « bon tourisme » par rapport à un tourisme néfaste et cherche à expliquer pourquoi le tourisme culturel est peu à peu devenu une sorte de paradigme pour l’Institution. Si les définitions sont compliquées, la raison ou plutôt la justification du fait que l’Unesco se soit saisi du tourisme depuis 1966, tiennent en peu de mots : « Unesco encourages the development of tourism because tourism contributes in innumerable ways to education, culture and international understanding ». Mais encore faut-il que les bénéfices ne restent pas encore et toujours aux mains des mêmes, les pays riches et développés, que ces bénéfices soient culturels ou économiques, sans même évoquer l’exploitation de la main d’œuvre locale et le tourisme sexuel.
Saskia Cousin écrit avec élégance : « Le postulat de l’humanisme universel au fondement de l’Unesco reste posé, mais il s’est déplacé : ce n’est plus la culture ou l’art qui sont universels, c’est le tourisme. Il n’y a plus une culture ou un patrimoine mondial – même si le « label » persiste –, il y a des cultures et des identités culturelles caractérisées par leur « diversité ». L’unité serait alors à rechercher dans l’activité humaine qui les touche et les relie, le tourisme. Si toutes les cultures sont différentes, seul le tourisme permettrait d’apprécier la diversité culturelle et d’en mesurer la commune grandeur. » On a envie d’ajouter : tirez le rideau et oubliez les recommandations !
Ajoutons cependant une dernière citation de la spécialiste : « Le tourisme est présenté comme une mobilité idéale, une modalité d’échange culturel et un outil de développement. Il permet de faire connaître et légitimer les revendications de certaines minorités, en même temps qu’il constitue une base de consensus pour les délégations nationales qui fondent l’Unesco. Il constitue un élément supranational permettant à l’OMT et l’Unesco de prôner un mondialisme justement susceptible de dépasser l’échelle de l’Etat-nation, jamais remis en cause après l’échec du gouvernement mondial proposé en 1947 par Julian Huxley, le premier directeur de l’Unesco. Dans ce contexte, l’Unesco ne serait bientôt plus une instance de légitimation du tourisme, mais le tourisme permettrait au contraire de légitimer l’Unesco comme organisation transnationale. » On se saurait mieux dire.
Références :
La plupart
des Conventions, des textes ou des références cités font l’objet de liens
hypertexte. Nous voulions cependant mettre en avant quelques
ouvrages ou articles auxquels nous avons fait plusieurs fois référence ou dont nous avons mis en perspective les concepts.
Amirou
Rachid. Imaginaire du tourisme culturel. Collection La
politique éclatée. Presses Universitaires de France.2000.
Cousin
Saskia. L’identité au miroir du tourisme. Usages et enjeux
des politiques de tourisme culturel. Thèse de doctorat en anthropologie
sociale, Paris, EHESS. 2002.Cousin Saskia. « L’Unesco et la doctrine du tourisme culturel », Civilisations, 57 | 2008, mis en ligne le 30 décembre 2011.
Heinrich
Nathalie. La fabrique du patrimoine. De la cathédrale à la
petite cuillère. Ethnologie de la France. Editions de la Maison des sciences de
l’homme. 2009-2010.
Mélot
Michel. Mirabilia. Essai sur l’Inventaire général du
patrimoine culturel. Bibliothèque des Idées. NRF Gallimard. 2012.Patin Valéry. Tourisme et patrimoine (nouvelle édition). La Documentation française. 2005.
Robinson Mike et Picard David. Tourisme, culture et développement durable. Paris : Unesco éditions. 2006.
Collectif. Le patrimoine culturel immatériel. Enjeux d’une nouvelle catégorie. Sous la direction de Chiara Bortolotto avec la collaboration d’Annick Arnaud et Sylvie Grenet. Ethnologie de la France. Editions de la Maison des sciences de l’homme. 2011.
Collectif. Paysages européens et mondialisation. Sous la direction de Aline Bergé, Michel Collot et Jean Mottet. Pays / Paysages. Champ Vallon. 2012.
Revue.
Le
Débat N°65, mai-août 1991. Au-delà du paysage moderne.
Autour du patrimoine.
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