Napoléon. Abel Gance. Cliché Cinémathèque française.
Je remercie les organisateurs de cette rencontre sur
le patrimoine muséographique et paysager de l’Itinéraire culturel du Conseil de
l’Europe « Destination Napoléon » de m’avoir invité à élargir
les points de vue échangés aux caractéristiques règlementaires et narratives d’un
programme qui fêtera bientôt son quarantième anniversaire.
Elle a permis à de nombreux membres et partenaires de
l’Itinéraire de confronter de manière exhaustive et diversifiée leurs approches
scientifiques, muséographiques, médiatrices ou touristiques.
Le corpus ainsi réuni montre la richesse des
patrimoines matériels et immatériels à partir desquels se construisent pour le
public l’exemplarité et la visibilité d’une personnalité qui a marqué
l’histoire géopolitique de l’Europe et de l’Egypte, mais dont certaines
décisions sociales ou juridiques, pour ne pas parler des aspects « légendaires »,
ont concerné plusieurs autres continents.
Cette invitation m’a tout d’abord permis de remettre
au premier plan certaines des caractéristiques qui tiennent au cadre dans
lequel se situe la labellisation d’un itinéraire culturel. Un cadre dont les
conséquences concernent très directement la présentation muséographique
d’objets et de collections liés à l’histoire napoléonienne ainsi que celle des
paysages dans lesquels se sont inscrits les champs de bataille et donc, par
conséquent, la présentation scénographique qui en est proposée aux visiteurs
aujourd’hui.
Exemplarité
Les travaux effectués depuis 1954 par le Conseil de l’Europe dans différents secteurs : ceux de l’enseignement, de la culture, de l’environnement et du patrimoine se sont fondés sur la Convention culturelleeuropéenne. Cette Convention s’est par la suite enrichie, tout particulièrement dans les années quatre-vingt-dix à deux mille, grâce à plusieurs autres textes conventionnels.
Ceux-ci ont pris en compte les rapports qui s’établissent entre
les valeurs défendues et promues par l’Institution européenne et les publics au
sens large. Des publics concernés par l’application nationale, régionale ou
locale des Droits de l’Homme, qu’ils soient partie prenante, dans un contexte
européen, d’une responsabilité pédagogique, d’une sensibilisation sociale et
citoyenne ou encore de l’aménagement touristique de la rencontre des visiteurs nationaux
ou étrangers avec les identités culturelles plurielles des lieux dont ils sont
responsables et des modes de vie des habitants rencontrés lors d’un voyage.
Ces Conventions soulignent tout particulièrement le
fait que certaines responsabilités sont partagées entre les propriétaires
publics ou privés des sites et des biens patrimoniaux et leurs usagers et
utilisateurs.
Il en est ainsi en matière de gestion, d’entretien ou
de médiation, dans un contexte national, transfrontalier ou largement multinational.
Il s’agit plus spécifiquement de son entretien
physique et mémoriel, mais aussi du partage de la propriété intellectuelle,
donc de la conception et de la transmission de son interprétation : Conventionde Faro – Convention cadre sur la valeur du patrimoine culturel pour la société
et Stratégie européenne du patrimoine pour le XXIe siècle.
Les réseaux porteurs d’un Itinéraire culturel du Conseil de l’Europe sont par conséquent responsables de rendre exemplaires et visibles ces Conventions et d’en permettre une appropriation sensible par la visite, le parcours et même la sauvegarde partagée.
Réunion "Musées et champs de bataille. Défis et opportunités dans la transmission de l’histoire napoléonienne en Europe". Cliché Destination Napoléon.
Visibilité
-
Des récits touristiques pluriels :
voyages, étonnement et appropriation
Du fait des Conventions que j’ai évoquées, la première exigence qui se pose lorsqu’un itinéraire culturel souhaite recevoir la mention du Conseil de l’Europe pourrait se formuler ainsi, au regard de son patrimoine singulier et de son histoire spécifique :
-
Quelle est la dimension européenne du parcours
proposé ?
La seconde exigence dialogue avec l’actualité
géopolitique et sociale de l’Europe :
-
Quelle est son exemplarité patrimoniale,
historique et mémorielle qui permet de coordonner des actions communes dans un
contexte d’identités plurielles ?
Et la troisième, parfois trop négligée :
-
Quel récit élaboré en commun va-t-on proposer
aux visiteurs pour répondre aux deux premières exigences ?
Par
exemple :
-
La narration d’un moment de l’histoire ou de la
mémoire de l’Europe qui est lié à un lieu ou à un personnage réel ou
imaginaire.
-
Le récit de voyage d’un personnage réel ou
imaginaire. En l’occurrence, selon les thèmes labelisés : un navigateur, un
musicien, un pèlerin célèbre ou plus anonyme, un berger transhumant, un musicien
ou un écrivain suivant une cure thermale, un mémorialiste ou un créateur
d’empire.
Le regard du géographe qui propose une carte
illustrée, celui de l’historien qui publie le récit du mouvement des armées,
voisinent alors harmonieusement avec le cadre de la caméra du cinéaste ou la
partition d’un compositeur qui dédie une symphonie à une personnalité qu’il
admire.
Pour ne prendre que deux exemples qui concernent l’itinéraire « Destination Napoléon » : celui du film épique d’Abel Gance récemment restauré ou celui de « La Conversation », dialogue entre Napoléon et Cambacérès imaginé par Jean d’Ormesson ( La Conversation. Editions Heloise d’Ormesson. 2011).
"C'est une expérience physique et sensuelle, au-delà même d'une expérience cinéphilique." avoue Georges Mourier, réalisateur et chercheur, responsable avant sa restauration de l'inventaire des différents morceaux du film qui ont été conservés. Et il ajoute : "Pour Abel Gance, le cinéma était une arme d'élévation massive."
"Il y a des moments où l'histoire semble hésiter avant de prendre son élan...c'est un éclair de cet ordre que j'ai tenté de saisir : l'instant où Bonaparte, adulé par les Français qu'il a tirés de l'abîme, décide de devenir empereur" écrit de son côté l'académicien Jean d'Ormesson.
On comprend, à la lecture de ces trois citations qu’il s’agit bien de toucher notre besoin de connaissance, à l’égal de notre imagination en attente d’un ailleurs espéré.
Si l’imagination est sollicitée, le visiteur ou le
spectateur se situent alors bien au-delà des slogans touristiques les plus convenus
et de l’environnement commercial qui est supposé le convaincre de se déplacer
et de planifier une visite.
S’ils sont équilibrés entre les exigences de la
recherche et ceux de la création, les mots, les sons, les musiques, les images
qui viennent le solliciter, contribuent à balayer les figures figées des
monuments ou des personnages qui ont trop souvent proposés comme des icônes
indiscutables et éternelles.
Les chercheurs et les créateurs construisent ensemble un
récit pluriel qui devient peu à peu un champ d’appropriation ouvert à la construction
d’une opinion enrichie.
-
Concevoir des rencontres
C’est en répondant à la publication d’analyses anthropologiques,
ethnographiques, géographiques ou romanesques, mais aussi à celle de récits d’explorateurs
ou d’écrivains, pour certains redécouverts, pour d’autres contemporains, que des
initiatives sont nées dans le but de relier les lieux de visibilité des itinéraires culturels.
Elles méritent une analyse au cas par cas qui sera
l’objet d’une étude à venir qui s’appuiera elle aussi sur le rôle et la place
des musées et des lieux de parcours : chemins de pèlerinages, voies de
migrations, d’échanges commerciaux ou de transhumances, voies maritimes des
Vikings ou des marchands de la Hanse, bâtiments historiques du thermalisme et paysages
thérapeutiques…
Ces initiatives se sont en partie nourries de
rencontres internationales ayant déjà trouvé leur public avec succès.
En ce qui concerne la France, la plus ancienne est
certainement le Festival « Etonnants Voyageurs » ( organisé
depuis 1990 sous l’impulsion du regretté Michel Le Bris. Nul étonnement à ce
que dans les débats qui ont suivi les dernières éditions, « l’identité
monde » ait été présentée comme un remède à la « fiction
identitaire nationale » et que l’initiative ait aussi choisi de s’exporter
sur les terres de la créolisation.
Il s’agit également du « Festival della letteraturadi Viaggio » coordonné par Claudio Bocci depuis 2008, qui a reçu pour son édition de 2010 le
patronage de l’Institut Européen des Itinéraires culturels.
Ces rencontres ont ceci de particulier qu’elles épousent
des lieux de circulation et d’ouverture : Saint Malo et sa façade maritime
pour l’une et Rome, tout à la fois aboutissement et lieu de départ de
pèlerinages, pour l’autre. Mais dans les deux cas, on y entend le mot récit
dans toutes les formes artistiques du terme.
Ambitieuses par les lieux qu’elles occupent, ces
manifestations affrontent aussi la diversité des points de vue. Ainsi,
parallèlement à des expositions et des films de fiction, on peut y découvrir des
documentaires de création.
L’apport du transmédia : additionner
et croiser les moyens d’expression en suivant des personnages historiques et / ou imaginaires
Parmi les projets narratifs qui ont déjà concerné
certains des itinéraires culturels, il m’est plus évident de présenter une
démarche de « transmédia » que j’ai préparée et dont j’ai
suivi la mise en œuvre de 2012 à 2015 avec le Réseau des Villes thermales
Historiques (EHTTA) dans le cadre du programme « Source » ( financé pour moitié par la Commission européenne et pour moitié par neuf des
villes du Réseau et par l’Association des villes thermales du Massif Central ).
Au sens propre, la narration transmédia articule
un univers narratif original sur différents médias. En suivant cette logique,
l’un des volets de ce programme comportait l’écriture d’un roman interactif intitulé
« Aux Sources de l’Europe » impliquant quatre personnages principaux.
Pour ce qui concerne ces villes de cure, où les
séjours médicalisés duraient trois semaines, il était en effet aisé de choisir
des personnalités significatives et de leur trouver des doubles contemporains, curistes
ou visiteurs, voyageant dans le temps et l’espace.
En effet, avant la naissance du thermalisme et du
tourisme populaires, ces villes ont été par nature des lieux de rencontre de
responsables politiques, y compris pour des conférences multilatérales décisives
pour l’histoire mondiale et pour la signature de traités de paix.
Des entrepreneurs et des investisseurs locaux y sont à
l’origine de patrimoines bâtis souvent somptueux.
Des voyageurs célèbres et des artistes venus suivre
une cure les ont célébrées.
Elles ont même fait l’objet de la publication de romans
et de nouvelles par des écrivains tels Gustave Flaubert, Guy de Maupassant, les
Frères Goncourt, George Sand, Fiodor Dostoïevski et de films tels « L’année
dernière à Marienbad » d’Alain Resnais ou encore « Les yeux
noirs » de Nikita Mikhaikov, pour n’en citer que deux.
Le roman lui-même a été publié sous forme informatique
sur un site dédié. Il met en scène la manière dont les quatre personnages -
fils conducteurs - se sont rencontrés avant de partir à la découverte des
villes thermales.
Chacun d’entre eux a tenu durant deux années un blog décrivant
les étapes de ses voyages et de ses rencontres. Les personnages alimentaient
tous également une page facebook, un compte twitter (aujourd’hui
X) et leurs étapes ont été aussi reprises sur pinterest.
Ils ont été par ailleurs incarnés par des acteurs à
l’occasion des « Cafés de l’Europe », réunions
thématiques mettant en relief et explorant de manière pluridisciplinaire les
points forts culturels et touristiques des villes concernées.
Par exemple :
-
Une ville maîtrisant les approches virtuelles :
Enghien-les-Bains (ville numérique de l’UNESCO) ;
-
Des villes musicales : Baden-Baden,
résidence temporaire entre autres d’Hector Berlioz, Clara Schumann, Johannes Brahms…ou
encore Montecatini Terme fréquentée par Giuseppe Verdi ;
-
Une ville à l’origine du tourisme et du
thermalisme modernes : Spa ;
-
Une ville cinématographique : Fiuggi près
de Rome ;
-
Une ville organisatrice d’un prix du livre
d’histoire ( Acqui storia ) :
Acqui Terme.
L’ensemble de toutes ces réunions a non seulement
bénéficié de la présence de dessinateurs carnettistes, choisis en fonction de
leurs connivences avec le thème de chaque café, mais aussi d’un remarquable
travail photographe créatif.
Un lien a été d’ailleurs établi avec certaines des
villes marquées par l’histoire napoléonienne.
En effet, l’un des quatre personnages imaginaires, Charles Joseph, dialogue
dans le temps et l’espace avec Charles-Joseph de Ligne, témoin et mémorialiste
de la Révolution française, de l’annexion de la Wallonie où il est né, des
affrontements entre la coalition et les armées napoléoniennes et des guerres
entreprises par Catherine de Russie en Crimée. Il meurt durant le Congrès de
Vienne et de ce fait, toutes les têtes couronnées d’Europe assistèrent à son
enterrement.
Il pourrait éventuellement constituer l’un des témoins
virtuels de l’itinéraire « Destination Napoléon » dans le cadre d’une
des approches narratives de l’itinéraire.
La porte est ainsi ouverte à une recherche théorique
et pratique des croisements narratifs entre les itinéraires culturels du
Conseil de l’Europe, recherche fondée sur la richesse des musées et des
paysages culturels qu’ils mettent en valeur en relation avec leurs caractéristiques
thématique.
Je reste persuadé que l’itinéraire « Destination
Napoléon » a inauguré à la Sorbonne, de manière exemplaire, la
possibilité d’une large coopération avec l’ensemble des itinéraires culturels
déjà labelisés.
Michel Thomas-Penette
Novembre 2024
Conférence tenue à l'Université Sorbonne, Paris, le 20 juin 2024.
Réunion "Musées et champs de bataille. Défis et opportunités dans la transmission de l’histoire napoléonienne en Europe". Cliché Destination Napoléon.
Musées et champs de bataille. Défis et opportunités dans la transmission de l’histoire napoléonienne en Europe - Destination Napoleon - European Federation of Napoleonic Cities
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