Durant deux années la Journée Européenne du Tourisme a pris pour sujet et objet le patrimoine et même cet objet patrimonial complexe que sont les itinéraires culturels, afin de se « décaler » des présentations traditionnelles habituelles où les lobbys disposent annuellement d’une tribune pour réaffirmer l’importance économique de tel ou tel secteur professionnel. Le pari était de taille puisqu’il ne s’agissait plus seulement de constater, mais de prévoir et de ce fait même d’aider ceux qui avaient pris le tournant du tourisme transfrontalier, sans attendre l’application pratique du Traité de Lisbonne. J’ai déjà expliqué en détails cette évolution et la manière dont après plus de dix années d’attente, sous l’impulsion du Vice-Président de la Commission européenne Antonio Tajani, le scénario du tourisme européen avait changé soudain de décors en tenant compte de nouveaux acteurs.
Trapani, Sicile. Route du sel.
La présentation de 2012 est en quelque sorte revenue
sur des rails plus traditionnels en cherchant à s’équilibrer sur deux
jambes : le thème de la lutte contre la saisonnalité persistante du tourisme précédant, le
matin, celui du tourisme côtier, largement déployé l’après-midi dans le
dynamisme d’une table-ronde. L’importance prise récemment au sein de la
Commission européenne par la nécessité de diversifier les activités maritimes,
tout en les protégeant des excès en tous genres (surpêche, constructions
envahissantes, concentrations touristiques sauvages, ignorance de
l’arrière-pays, concentration du capital dans des mains étrangères…) atteignant
l’intégrité des patrimoines culturels et paysagers et même la qualité des eaux
marines ce qui est le comble, répond comme dans d’autres secteurs économiques à
un souci de ne pas tuer définitivement la poule aux œufs d’or.
Maria Damanaki. Commissaire en charge des Affaires maritimes et de la pêche
Mais comme dans d’autres secteurs, l’action
intervient cinq minutes avant la mort et prend une allure de sauvetage d'un moribond. La Commissaire Maria Damanaki et la
Direction Générale qui ont la charge de ce secteur (Affaires Maritimes et pêche) sont placées aujourd’hui par le Parlement européen et ses pressions
légitimes devant plusieurs défis de taille qui dépassent de loin les capacités
de l’Union européenne, puisque l’on a affaire à un phénomène mondial dont la
responsabilité incombe à tous les pays signataires des grands traités et des
résolutions sur la protection de l’environnement.
Mais tout en s’appuyant sur les contradictions des
pays membres et leur affirmation constante des règles de la subsidiarité (seul le
Ministre du Tourisme de Malte était présent) deux Commissaires et deux
Directions générales pouvaient au moins se retrouver sur un objectif commun :
faire que les mers qui baignent l’Europe et que nous partageons avec d’autres
continents répondent aux mêmes critères de qualité d’accueil que d’autres
destinations touristiques qui ont su renouveler non seulement leur offre, mais
aussi l’approche de la visite touristique elle-même.
Mario De Marco, Ministre du tourisme, de l'environnement et de la Culture de Malte
En ce sens, la Méditerranée – jusqu’à la Mer Noire, cette
mer civilisatrice de trois continents, première destination nautique du monde,
constitue un cas d’école où la géopolitique rejoint et même conditionne la
politique des loisirs, tandis que la Mer Baltique, du fait de la réunification
de l’Europe, constitue un autre champ d’exercice où les coopérations retrouvées
entre les pays qui la bordent ont déjà donné lieu à des expérimentations tout à
fait intéressantes. Personne n’a d’ailleurs évoqué le cas de la Mer de Barents
et celui de la zone Arctique qui sont déjà pourtant placées au cœur de combats
géostratégiques essentiels et où le tourisme se développera, de manière
inéluctable, ne serait-ce que par une évolution climatique mondiale qui
redistribuera en partie les cartes dans les cinquante années à venir et sera
certainement déjà mesurable en 2020 quand l’Union européenne fera un point d’ordre
sur les résultats de sa politique de croissance.
Dans tous les cas, qu’il s’agisse d’étendre les
saisons du tourisme et donc de mieux répartir la fréquentation des visiteurs ou
de se prévoir une politique proactive pour un développement côtier harmonieux
et maîtrisé, il s’agit de diminuer les effets agressifs de la consommation de
masse et donc par voie de conséquence du tourisme de masse en tenant compte des
évolutions sociologiques où la pyramide des âges a singulièrement évolué depuis
soixante ans et où la conception des vacances a largement évolué de l’attente
passive de l’offre à la réponse active de touristes redevenus des voyageurs.
Marché aux poissons. Venise, Italie.
Avant de présenter les exemples qui ont été choisis
par les responsables de la Commission européenne pour illustrer des cas de bonnes
pratiques concernant les deux thèmes, je voudrais terminer cette présentation générale
par une remarque sur l’évolution du cadre de la politique touristique lancée
avec beaucoup de courage et de détermination en 2010. Il ne reste que deux
années pour finir d’en installer les instruments avant le changement de
Commission et les élections européennes, même si le combat pour l’augmentation
significative du budget tourisme après 2014 semble gagné, ce qui devrait
permettre d’enraciner réellement certaines actions.
Et parmi ces instruments viennent en premier la
création d’un observatoire sur le tourisme à l’échelle européenne et la mise en
place d’un label de qualité qui puissent permettre de disposer des outils de
gouvernance d’une marque « Europe » pour ne pas reprendre le terme
anglais du « branding » dont on peut se demander s’il peut vraiment
caractériser une politique de renommée à l’échelle d’un continent aussi
diversifié et mouvant.
Sans ces instruments, mis au service du renforcement
du succès d’une destination, l’Europe essentiellement perçue comme « culturelle »
par ses visiteurs mondiaux, les premiers efforts du plan qui sont des réussites
encore fragiles pourraient être mis en danger. Ce plan qui affirmait – enfin –
le caractère patrimonial et identitaire du tourisme européen et qui a créé les
occasions de rapprocher les acteurs qui en sont les plus convaincus (Coopération
en matière d’itinéraires culturels labellisés par le Conseil de l’Europe, « Crossroads
of Europe », aide aux régions constituées en réseaux, label EDEN…) s’affronte,
comme le soulignait justement Antonio Tajani à l’ouverture de cette journée, à
la troisième révolution industrielle,
celle de la communication et des industries de la connaissance.
Ouverture de la JET. Antonio Tajani et Pedro Ortun (écran)
Mais il faudrait aussi pouvoir mesurer dans le cadre de l’observatoire l’impact de « voyages pour la connaissance » comme le sont les démarches des itinéraires culturels qui, fort heureusement ne sont pas solubles dans l’ingénierie touristique traditionnelle.
A mon sens, l’un ne va pas sans l’autre car le phénomène touristique est loin d’avoir fini de muter.
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