samedi 6 octobre 2012

Saisonnalité touristique : le jour d’avant et le jour d’après

Inutile d’insister sur le fait que l’un des cercles dans lesquels le tourisme est enfermé reste celui de la haute saison. Même si la situation évolue lentement en raison de l’augmentation du pourcentage des populations européennes qui peuvent choisir du fait de la retraite active la période la plus agréable pour partir en vacances, l’été et le plein hiver restent des musts. Un nouveau cercle, vertueux celui-là devrait être créé. Il est souhaité par toutes les instances mondiales qui traitent du tourisme, mais peine visiblement à voir le jour. Comme l’indiquait clairement Zelijko Trezner, représentant la plus importante association des professionnels « The European Travel Agent’s and Tour Operators Associations » ECTAA lors de la première session de la Journée Européenne du Tourisme : « …la profitabilité commence quand on peut augmenter la saison d’une journée avant et d’une journée après. »


Itinéraire de Saint Martin en bord de Loire (Photo CCE Saint Martin de Tours)
Cette constatation a été en quelque sorte déclinée tour à tour, comme une variation mélodique, par le représentant du thermalisme médical, celui de la Fédération Europarc, la Présidente du Réseau NECSTOUR, ou encore les responsables de projets qui ont reçu un appui de la Commission européenne dans le cadre du programme CALYPSO (Projet EST European Senior Travel et projet FETE First European Travel Experience). Une expérience de terrain a été également bien illustrée, celle des Highlands d’Ecosse.
On peut trouver tous les powerpoints de ces interventions sur le site de la Commission européenne.

Saisonnalité : des évidences oubliées ?

Ceci dit, un certain nombre de constats ont été dressés depuis déjà de nombreuses années et sont devenus des évidences.  Celles-ci sont pratiquement toutes liées à un retour à certaines initiatives alternatives nées à la fin des années soixante, lors du premier refus des politiques globales par les baby-boomers. Elles prenaient en partie leur source dans l’esprit de découverte par le voyage qui existait dans les classes aristocratiques à la naissance du tourisme et qui ont été trop longtemps mimées ou caricaturées par la standardisation des offres de visite des lieux emblématiques du Grand Tour ou de la transformation des grands sites en icônes universelles.

Pour reprendre une remarque de Rachid Amirou : « Démocratie et démocratisation culturelles ne vont pas de pair, leurs relations sont bien plus complexes et subtiles. » Ce qui veut dire que parallèlement à « une implosion de la notion de culture », pour reprendre une expression du même auteur, on a assisté à une implosion de la notion même de tourisme et que l’on commence seulement à tenter de rassembler de manière sensible et intelligente les éléments disloqués lors de cette implosion, segments qui ont été trop longtemps vendus séparément, grâce à un marketing agressif, comme s’il s’agissait d’un tout, prêt-à-consommer hors de leur contexte. Cela se nommait : le centre-ville séparé de son territoire, le monument séparé de son époque historique et la route parcourue sans la connaissance du paysage. 

Les jeunes du Centre de Culture Européenne sur les Chdemins de Saint Jacques

Je ne citerai que quelques-unes de ces évidences qui ont été présentées souvent naïvement, un peu comme des découvertes de dernière heure, par des opérateurs qui ont été certainement habitués trop longtemps à l’évidence d’un marché touristique dont ils pensaient qu’il allait croître indéfiniment dans un monde où l’énergie semblait inépuisable, où le temps des loisirs semblait indéfiniment extensible et où la richesse individuelle devait atteindre toutes les catégories de populations et surtout, depuis 1989, dans un monde réconcilié qui connaissait enfin la fin de l’histoire et des totalitarismes.
Malheureusement c’est plutôt le chômage et la pauvreté qui constituent depuis plus de trois ans un fait de société dominant. La « société des loisirs » est devenue aujourd’hui une « société de la crise » où l’activité économique doit être inventée sur de nouvelles bases. De ce fait, l’offre touristique doit évoluer et s’adapter constamment en raison d’une demande qui change lentement mais inéluctablement de nature en revisitant le passé avec l’aide de nouveaux outils de découverte utilisant les nouvelles technologies. Les prises de conscience communautaires de différents types : la création de nouvelles solidarités, la nécessité du partage des valeurs fondamentales, des connaissances et des ressources, la prise de conscience de la nature anthropologique de l’hospitalité, la conscience écologique diffuse mise en pratique à l’échelle locale, pour n’en citer que quelques-unes aboutissent lentement mais sûrement à de nouveaux paradigmes économiques dont les responsables des activités touristiques ne prennent que trop lentement conscience.
Nouvelles solidarités. Campagne Toscani pour Benetton

Ai-je besoin de redire enfin que le programme des itinéraires culturels du Conseil de l’Europe dont il n’a été question que de manière marginale cette année au travers du seul exemple de la logique durable développée par le programme Odyssea, offre depuis l’origine, c’est-à-dire depuis le milieu des années quatre-vingt,  des modèles alternatifs adaptés à toutes les grandes interrogations géopolitiques et anthropologiques des trente dernières années. Sur cette utopie réaliste se sont greffées de nombreuses initiatives qui répondent de manière diversifiée, créative, adaptative et dynamique aux intentions des créateurs de ce programme. Pour beaucoup d’entre elles, elles répondent même très directement à la question de la trop forte saisonnalité du voyage et auraient certainement dû être invitées à présenter leurs démarches. Car la réponse n’est pas seulement - et de loin – purement touristique. Elle est éthique et doit mettre en œuvre « une nouvelle conception de la rencontre et de l’itinérance tout au long de la vie », un peu comme on parle d’une « formation tout au long de la vie ». 

Exposition du XXe anniversaire des Itinéraires culturels. Saint-Jacques de Compostelle
Dans ce cadre évolutif, je suis de plus en plus persuadé que le secteur touristique n’échappe encore en partie à la « crise » que du fait des situations économiques et sociales très différentes selon les continents. Les pays dits émergents, dont certains constituent des réservoirs extraordinaires de « touristes de masse » potentiels, ne sont entrés que depuis très peu de temps dans la phase des loisirs organisés et standardisés que nous avons connue en Europe et aux Etats-Unis il y a quarante ans. Cette aspiration légitime au « voyage dépaysant » vers l’Europe, des Chinois, des Indiens, des Brésiliens, en particulier, va donc servir de tampon pendant encore une petite dizaine d’années pour que les grands opérateurs survivent en consolidant des pratiques de concentration du capital, des moyens et des services qu’ils ont mises au point et éprouvées pendant des dizaines d’années. Les nouvelles pratiques du « low cost » adoptées par les jeunes, puis progressivement par toutes les générations et même les secteurs d’activité les plus divers qui devaient réduire leurs dépenses et serrer leurs marges, constitue également un autre tampon qui a dans un premier temps aidé la démocratisation du voyage, avant d’apporter une marge profitable aux compagnies traditionnelles qui s’en sont emparées. Elles sont donc elles-mêmes également en train de trouver leurs limites.

Mireille Perano, Réseau NECSTOUR
La pratique des réservations directes, des voyages à la carte, des informations par le « bouche à oreille » circulant sur les réseaux sociaux font toutes inéluctablement chuter l’activité des intermédiaires tels les agents de voyages réfugiés dans le sur mesure haut de gamme. Par contamination, elles vont atteindre tous les grands empires qui se sont construits dans ce que l’on nomme encore l’industrie touristique. Alors ?

Saisonnalité : répondre à la demande des tribus

Prenons l’exemple tout à fait éclairant des opérateurs touristiques. La Fédération ECTAA que je citais au début de cet article compte aujourd’hui 31 associations affiliées dans 29 pays européens qui représentent 77.000 entreprises et 300 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Impressionnant ! Mais quelle est la réponse de ce secteur professionnel clef à la question posée de la saisonnalité ? Je paraphrase : « Nous sommes les meilleurs garants du contrôle de la demande du consommateur, nous pouvons l’orienter et agir pour diversifier les clientèles car nous ne sommes pas seulement des intermédiaires dans une filière professionnelle comme il en existe dans d’autres secteurs industriels, mais nous sommes des interfaces entre les fournisseurs et les différents segments du marché. Autrement dit nous pouvons agir directement sur cette demande en atteignant directement ceux qui cherchent les prix les plus étudiés, comme en localisant les clientèles les plus pointues et les plus exigeantes qui cherchent l’inconnu, le peu connu ou l’exclusivité. »


Zelijko Trezner. ECTAA
Le délégué de cette fédération avoue cependant avec peut-être un peu de naïveté : « Quand on est un intermédiaire, il y a toujours quelqu’un qui cherche à vous éliminer, il faut donc trouver des partenariats. » Il n’a malheureusement pas détaillé la répartition des chiffres d’affaires entre les grands groupes et les franchisés d’un côté et les petits opérateurs spécialisés de l’autre, car c’est sur ce point que l’on aurait pu discerner si un véritable basculement vers la specialisation est en train de se produire.  

Je vais prendre le temps de détailler dans un article à venir les autres interventions qui traitaient pour leur secteur de la même question, mais au moins trois d’entre-elles m’ont amené à mettre d’abord l’analyse de la saisonnalité du tourisme en perspective. Elles concernent le nouveau public touristique des villes thermales sur lequel je travaille aujourd’hui avec un réseau européen ouvert sur le patrimoine et la culture EHTTA, mais aussi les initiatives qui concernent les publics qui voyagent pour la première fois et enfin les amateurs de grands espaces naturels.
Dans les années soixante et soixante-dix, j’avais l’habitude de faire chaque année un certain nombre de voyages avec des monomaniaques : les amateurs de jardins alpins français et les membres de l’Alpine Garden Society anglaise, les naturalistes parisiens, les membres de la Société Botanique de France ou de la Royal Horticulture Society. C’est vers ce type de public là et ceux qui leur ressemblent en raison de leur intérêt exclusif pour… la céramique, les affiches, les champs de bataille ou les livres rares, que d’une certaine manière la Fédération des opérateurs va conseiller aux professionnels de se tourner. Ils représentent en effet un pourcentage très important de professionnels et d’amateurs, parmi lesquels des jeunes et des retraités qui voyagent lors des premières étapes de la floraison dans les Jardins et les Parcs, mais aussi dans les grands espace naturels au moment de la fonte des neiges, ou dans le moment des floraisons d’automne, quand les oiseaux ou les poissons migrent et quand les insectes muent. Ou bien encore qui se déplacent pour les fêtes votives, les salons du livre, les rassemblement des « Tall Ships » oo les reconstitutions historiques. Ils ont un comportement écologique, une démarche durable, une volonté de protéger les espaces qu’ils explorent ou dont ils reproduisent souvent les caractéristiques en miniature à portée de chez eux et s’associent à la conservation du patrimoine immatériel. De plus, ils se déplacent en groupe et cherchent une aide pour l’organisation de leur voyage. Ce sont, en toutes circonstances de vrais voyageurs « désaisonnalisés ».

Berneix, Haute Savoie, France
J’ai eu également l’occasion, dans les mêmes années, en raison de mes activités touchant à la création textile de me lier d’amitié avec un certain nombre de néo artisans qui accueillaient des stagiaires dans des espaces souvent éloignés des lieux traditionnels de vacances, ce que l’on nomme les arrières pays. L’accueil à la ferme à une époque où les activités agricoles de petites entreprises familiales étaient encore notables, faisait partie de l’offre alternative, ainsi que celles offerte par des citadins "retournés à la campagne" qui cherchaient à relancer une activité agricole en grande partie rêvée.  Elle existe toujours dans les agritourismes, même si l’offre est aujourd’hui différente et résulte aussi d’exploitants plus traditionnels, voire adeptes de l’agriculture intensive, qui n’arrivent plus à équilibrer leurs revenus et leurs charges et ont besoin d’un revenu touristique, à l’égal des pêcheurs côtiers qui emmènent des touristes avec eux et les font participer au travail.

Les experts du tourisme culturel tel Greg Richards pointent de nouveau du doigt ces pratiques qu’ils découvrent avec quarante années de retard, en expliquant qu’elles constituent une mutation vers un tourisme des sens, sinon « sensuel », un tourisme actif et participatif. Je cite : « We also need our grounding in tourism as an everyday experience in order to be able to appreciate the differences by the host culture. This applies to all aspects of the culture, not just the commanding heights. As J.B. Priestly remarked: “A good holiday is one spent among people whose notions of time are vaguer than yours” – in other words it is the practice of everyday life that makes a culture different and attractive to many cultural tourists, not just specific attractions

Saisonnalité: la révolution de l’espace-temps

Bien évidemment, la phrase clef du texte de Greg Richards concerne la notion du temps, ou pour mieux dire l’utilisation du temps dans un contexte qui devient « exotique » durant les vacances car il ne correspond pas au temps des villes d’où proviennent les touristes, mais à un temps qui se rapproche de celui de la société traditionnelle. Le temps du pêcheur, de l’agriculteur, de l’artisan, du retraité n’ont rien à voir avec celui du salarié citadin actif et on peut s’étonner que l’ensemble des communications de la Journée Européenne du Tourisme n’aient pas été précédées d’un tableau général de l’évolution sociologique du « capital temps libre » dans le monde occidental, tableau en face duquel des solutions pourraient alors être répertoriées et posées en cherchant à accompagner une évolution vers la durabilité et le partage.

Un exemple particulièrement frappant est celui qui concerne en France le traitement de la question des rythmes scolaires qui doivent toucher bien évidemment d’abord les enfants en leur évitant la surcharge de travail, mais qui tient compte le plus souvent avant toute chose de la réaction des parents. Un récent article, paru dans le Quotidien du tourisme sur la proposition de « zonage » des vacances d’été, souligne une réaction à la fois massive et contradictoire : « Selon un sondage réalisé par Lastminute.com, 74% des Français ne sont pas favorables au zonage des vacances d’été. Les raisons de ce désaccord sont multiples. Tout d’abord, les Français interrogés n’ont pas envie de se voir imposer leur période de vacances en raison de cette mesure instaurée par le gouvernement. En effet, 46% souhaitent choisir leurs dates de vacances et partir quand bon leur semble. D’autre part, 52% des répondants ne peuvent pas choisir leurs dates de vacances car elles leur sont imposées par leur employeur. » Autrement dit les Français veulent choisir, mais leur choix reste conditionné par la « valeur travail ». Ne parlons même pas des chômeurs. Une telle contradiction souligne bien qu’une mutation est en route dans une société où le temps est à la fois alterné et individualisé, mais réinscrit en permanence dans le temps mondial et universel et que cependant les logiques du temps posté prédominent encore. C’est je pense cet ensemble de contradictions qui doivent être prises en compte par les responsables des politiques touristiques qui travaillent sur cet espace privilégié du voyage et des vacances que constitue depuis des centaines d’années, le territoire euro-méditerranéen.
Ce n’est pas du pédantisme que de rappeler des évidences sociologiques sur la « création », la « construction » et l’évolution des territoires de vacances et de la manière de les atteindre. Jean Viard écrit : « Le tourisme est un mode de production territorial nourri par la mobilité, donc la comparaison. Il bouleverse les usages sédentaires des territoires par ce fait même, en imposant progressivement son propre marquage comparatif et inscrivant chaque lieu dans ce qu’on peut appeler « une culture du paysage ». Et plus loin, après avoir décrit le passage du tourisme religieux, au tourisme aristocratique, puis au tourisme de « station », il ajoute: «…le train accentua ces processus, organisant les migrations rituelles saisonnières d’une partie des élites entre les stations d’hivernage, la saison des spectacles en ville, les stations où on allait prendre les eaux et les propriété agraires où l’on séjournait en période de récoltes et de chasse. Cette logique de cour sans monarque à l’échelle européenne fonda les hauts lieux du tourisme. » 
Au temps du thermalisme mondain
C’est cette logique en effet, étendue démocratiquement à des populations de plus en plus nombreuses, qui a créé les vacances migratoires des occidentaux vers quelques lieux correspondant à des typologies précises, dans un espace de temps concentré obtenu non sans difficultés par les conquêtes sociales. En décalque des périodes historiques précédentes on retrouve sur le continent européen (je n’évoque pas ici le tourisme exotique) : les stations balnéaires et thermales, les festivals, les grands rassemblements rock et pop et les compétitions sportives, les vacances de neige et le séjour à la campagne. Toutes ces catégories ayant été transcendées par le tourisme culturel et itinérant tel qu’il s’est peu à peu redéfini au sein d’un espace transfrontalier européen et euroméditerranéen. Dans ce cadre-là, la définition de la culture, au-delà de la culture légitime décrétée par une élite, se diversifie et peut être aussi bien une approche culturelle scientifique, que technique ou artistique. La pratique culturelle fondée sur un éventail totalement ouvert permet pendant les vacances une appropriation individuelle faite de coups de cœur et d’épanouissement des passions personnelles.


Musée Guggenheim Bilbao, Espagne.
Une fois ces bases posées, il reste encore à prendre en compte la révolution de la notion d’espace-temps qui nous est imposée par les nouvelles formes de circulation de l’information et qui est en effet en train de favoriser l’effet de tribus non seulement en matière de cercles d’intérêt, mais encore plus en matière de jugements collectifs. Les pèlerins modernes qui marchent vers Saint-Jacques de Compostelle ou Rome ne sont plus seulement des migrants partageant une démarche commune dont ils font le récit et le bilan une fois par an avec leurs semblables, quand ils sont revenus, mais des itinérants géo-positionnés qui communiquent en temps réel avec le reste des membres de leurs tribus. Et d’une certaine manière, à leur image, tous les migrants saisonniers qui se sédentarisent pour quelques jours ou quelques semaines vivent grâce à l’internet et le téléphone portable à la fois dans le lieu et le temps de leurs vacances, sans couper pour autant les liens avec le lieu d’où ils viennent et donc avec le temps citadin de leur famille étendue et de leurs amis, tout en partageant les espaces et le temps des vacances des autres membres de leurs tribus. Des démarches commerciales comme celle de « trip advisor » ont parfaitement compris cette spatialité multiple et savent en jouer pour le pire plutôt que pour le meilleur.

Cela se nomme pour une bonne part de la schizophrénie temporelle et spatiale, mais c’est en y regardant de plus près et en examinant donc les signes du changement profond du sentiment de l’espace et du temps - et seulement ainsi - que les professionnels pourront comprendre comment ils pourraient s’y adapter et définir de ce fait de nouveaux métiers.

Spa, du tourisme élitaire aux Francofolies

Autrement dit, pour reprendre l’exemple des itinéraires culturels qui constituent la plus grande avancée en matière de « voyages pour la connaissance », réconciliant temps historique et temps virtuel, espace rêvé et espace concret, ce ne sont pas ces itinéraires qui doivent s’adapter à l’industrie du tourisme, mais l’industrie du tourisme qui doit créer les nouveaux métiers et les nouveaux savoir-faire qui leur sont nécessaires pour qu’ils continuent à nous aider à comprendre où nous nous situons dans une continuité socio-historique continentale.
Le pré carré européen peut redevenir un espace narratif absolument incomparable, reliant sens de la responsabilité, sens du collectif, besoin d’identité tribale et compréhension de l’espace-temps. Mais en tant qu’espace touristique, les professionnels le voient encore selon le diagnostic qu’en donne Jean Viard. « Le cœur de l’Europe touristique occupe ainsi une zone plus ou moins dense de 1.000 kilomètres au sud de la « banane bleue », soit l’axe Londres-Milan déporté de Bilbao à la Costa Brava, la France quasi entière, le Nord italien, le littoral adriatique, demain la Mer Noire. »

Durant deux années, la Journée Européenne du tourisme avait donné le sentiment d’avoir pris en compte les démarches nouvelles du tourisme culturel transfrontalier, il faut espérer que les croisements de l’Europe sont encore d’actualité à Bruxelles.

Amirou R. (2000). Imaginaire du tourisme culturel. Presses Universitaires de France.
Buhalis D., Laws. E (2001). Tourism Distribution Channels: Practices, issues and transformations. London: Thompson Learning. (Professor Buhalis website: http://www.buhalis.com/ )
Richards G. and Raymond C. (2000). Creative tourism, ATLAS news, N°23, 16-20.
Richards G. and Wilson J. (2007). Tourism, creativity and development, Routledge, London.

Viard J. (2011). Eloge de la mobilité. Essai sur le capital temps libre et la valeur travail. L’aube.


mardi 2 octobre 2012

Le tourisme européen au milieu du gué


Durant deux années la Journée Européenne du Tourisme a pris pour sujet et objet le patrimoine et même cet objet patrimonial complexe que sont les itinéraires culturels, afin de se « décaler » des présentations traditionnelles habituelles où les lobbys disposent annuellement d’une tribune pour réaffirmer l’importance économique de tel ou tel secteur professionnel. Le pari était de taille puisqu’il ne s’agissait plus seulement de constater, mais de prévoir et de ce fait même d’aider ceux qui avaient pris le tournant du tourisme transfrontalier, sans attendre l’application pratique du Traité de Lisbonne. J’ai déjà expliqué en détails cette évolution et la manière dont après plus de dix années d’attente, sous l’impulsion du Vice-Président de la Commission européenne Antonio Tajani, le scénario du tourisme européen avait changé soudain de décors en tenant compte de nouveaux acteurs.

 

Trapani, Sicile. Route du sel.


La présentation de 2012 est en quelque sorte revenue sur des rails plus traditionnels en cherchant à s’équilibrer sur deux jambes : le thème de la lutte contre la saisonnalité persistante du tourisme précédant, le matin, celui du tourisme côtier, largement déployé l’après-midi dans le dynamisme d’une table-ronde. L’importance prise récemment au sein de la Commission européenne par la nécessité de diversifier les activités maritimes, tout en les protégeant des excès en tous genres (surpêche, constructions envahissantes, concentrations touristiques sauvages, ignorance de l’arrière-pays, concentration du capital dans des mains étrangères…) atteignant l’intégrité des patrimoines culturels et paysagers et même la qualité des eaux marines ce qui est le comble, répond comme dans d’autres secteurs économiques à un souci de ne pas tuer définitivement la poule aux œufs d’or.

Maria Damanaki. Commissaire  en charge des Affaires maritimes et de la pêche


Mais comme dans d’autres secteurs, l’action intervient cinq minutes avant la mort et prend une allure de sauvetage d'un moribond. La Commissaire Maria Damanaki et la Direction Générale qui ont la charge de ce secteur (Affaires Maritimes et pêche) sont placées aujourd’hui par le Parlement européen et ses pressions légitimes devant plusieurs défis de taille qui dépassent de loin les capacités de l’Union européenne, puisque l’on a affaire à un phénomène mondial dont la responsabilité incombe à tous les pays signataires des grands traités et des résolutions sur la protection de l’environnement.

Mais tout en s’appuyant sur les contradictions des pays membres et leur affirmation constante des règles de la subsidiarité (seul le Ministre du Tourisme de Malte était présent) deux Commissaires et deux Directions générales pouvaient au moins se retrouver sur un objectif commun : faire que les mers qui baignent l’Europe et que nous partageons avec d’autres continents répondent aux mêmes critères de qualité d’accueil que d’autres destinations touristiques qui ont su renouveler non seulement leur offre, mais aussi l’approche de la visite touristique elle-même.

Mario De Marco, Ministre du tourisme, de l'environnement et de la Culture de Malte

En ce sens, la Méditerranée – jusqu’à la Mer Noire, cette mer civilisatrice de trois continents, première destination nautique du monde, constitue un cas d’école où la géopolitique rejoint et même conditionne la politique des loisirs, tandis que la Mer Baltique, du fait de la réunification de l’Europe, constitue un autre champ d’exercice où les coopérations retrouvées entre les pays qui la bordent ont déjà donné lieu à des expérimentations tout à fait intéressantes. Personne n’a d’ailleurs évoqué le cas de la Mer de Barents et celui de la zone Arctique qui sont déjà pourtant placées au cœur de combats géostratégiques essentiels et où le tourisme se développera, de manière inéluctable, ne serait-ce que par une évolution climatique mondiale qui redistribuera en partie les cartes dans les cinquante années à venir et sera certainement déjà mesurable en 2020 quand l’Union européenne fera un point d’ordre sur les résultats de sa politique de croissance.

Dans tous les cas, qu’il s’agisse d’étendre les saisons du tourisme et donc de mieux répartir la fréquentation des visiteurs ou de se prévoir une politique proactive pour un développement côtier harmonieux et maîtrisé, il s’agit de diminuer les effets agressifs de la consommation de masse et donc par voie de conséquence du tourisme de masse en tenant compte des évolutions sociologiques où la pyramide des âges a singulièrement évolué depuis soixante ans et où la conception des vacances a largement évolué de l’attente passive de l’offre à la réponse active de touristes redevenus des voyageurs.

Marché aux poissons. Venise, Italie.


Avant de présenter les exemples qui ont été choisis par les responsables de la Commission européenne pour illustrer des cas de bonnes pratiques concernant les deux thèmes, je voudrais terminer cette présentation générale par une remarque sur l’évolution du cadre de la politique touristique lancée avec beaucoup de courage et de détermination en 2010. Il ne reste que deux années pour finir d’en installer les instruments avant le changement de Commission et les élections européennes, même si le combat pour l’augmentation significative du budget tourisme après 2014 semble gagné, ce qui devrait permettre d’enraciner réellement certaines actions.

Et parmi ces instruments viennent en premier la création d’un observatoire sur le tourisme à l’échelle européenne et la mise en place d’un label de qualité qui puissent permettre de disposer des outils de gouvernance d’une marque « Europe » pour ne pas reprendre le terme anglais du « branding » dont on peut se demander s’il peut vraiment caractériser une politique de renommée à l’échelle d’un continent aussi diversifié et mouvant.

Sans ces instruments, mis au service du renforcement du succès d’une destination, l’Europe essentiellement perçue comme « culturelle » par ses visiteurs mondiaux, les premiers efforts du plan qui sont des réussites encore fragiles pourraient être mis en danger. Ce plan qui affirmait – enfin – le caractère patrimonial et identitaire du tourisme européen et qui a créé les occasions de rapprocher les acteurs qui en sont les plus convaincus (Coopération en matière d’itinéraires culturels labellisés par le Conseil de l’Europe, « Crossroads of Europe », aide aux régions constituées en réseaux, label EDEN…) s’affronte, comme le soulignait justement Antonio Tajani à l’ouverture de cette journée, à la troisième révolution industrielle, celle de la communication et des industries de la connaissance.

Ouverture de la JET. Antonio Tajani et Pedro Ortun (écran)
Parler comme l’a fait le Commissaire de « voyages pour la croissance » en évoquant la politique volontariste des « 50.000 touristes » concernant les pays émetteurs d’Amérique latine et en souhaitant une évolution significative de la délivrance des visas touristiques pour faciliter les visites, est certes d’actualité, si on en croit les statistiques qui marquent la résistance de ce secteur d’activité en Europe par rapport aux industries lourdes.

Mais il faudrait aussi pouvoir mesurer dans le cadre de l’observatoire l’impact de « voyages pour la connaissance » comme le sont les démarches des itinéraires culturels qui, fort heureusement ne sont pas solubles dans l’ingénierie touristique traditionnelle.
A mon sens, l’un ne va pas sans l’autre car le phénomène touristique est loin d’avoir fini de muter.