lundi 20 février 2012

Le Tourisme et l’Europe, un couple réconcilié ?


Tourisme culturel et culture touristique

Au moment de commencer un blog plus technique et en tout cas moins personnel que ceux dans lesquels j’ai écrit jusqu’à maintenant, je pense bien entendu d’abord à l’exercice pratique auquel je me suis livré pendant pratiquement vingt-cinq ans. 

Avoir la chance de travailler comme expert de certains domaines et de certains secteurs du tourisme culturel, puis la chance d’avoir à regarder de près de multiples propositions thématiques dans une cinquantaine de pays et enfin, de jouer un rôle d’intermédiaire entre ceux qui conçoivent et mettent en œuvre des projets et ceux qui décideront ou non de décerner un label, est extrêmement formateur. 

Cela permet principalement, sur un quart de siècle, de mesurer les continuités, les points de rupture et les moments clefs et donc d’échapper en grande partie aux effets de mode.


J’ai connu l’époque, à la fin des années 80 où pratiquement toutes les réunions portaient sur la grande question : « Qu’est-ce exactement que le tourisme culturel ? ». Et ce n’est pas vraiment fini ! J’ai pris l’habitude, pour éviter de régler ce débat en quinze minutes, là où il faudrait le temps de l’écriture d’une thèse, de reprendre une citation : 
"La culture est un phénomène tellement large et complexe qu'une définition claire du "tourisme culturel" en devient impossible et peut même s'avérer inutile." (Tomasz Studzieniecki).


Je peux reprendre sans les changer grandement les termes que j’employai en 2003 : « Le tourisme culturel est donc en passe de devenir, de ce fait, un des lieux privilégiés des contradictions de la société qui le met en œuvre et un des signes les plus tangibles de sa "santé culturelle". Il reste certainement à écrire une "Allégorie du tourisme culturel", après "L'allégorie du patrimoine" de Françoise Choay. »


L’Europe dans son ensemble, ou pour mieux dire, la « Destination Europe » (voir le document récent du Parlement européen mis à jour en 2019) dont parle de nouveau  la Commission européenne depuis 2010 étant considérée comme une destination prisée pour l’importance des témoignages de son histoire et pour la diversité à la fois commune et diversement  identitaire de son patrimoine, une grande partie des futurs « posts » de ce blog porteront d’abord sur les cadres politiques et administratifs où se prennent les décisions sur les programmes et les aides pour une des cibles identifiées dans l’ensemble des touristes, ceux dont le parcours et les visites sont reliés aux pratiques culturelles, et je dirais aussi aux pratiques de protection environnementale et de durabilité. Je n’oublie pas dans cet ensemble le tourisme social.


Une autre section portera sur les propositions qui veulent faire découvrir l’Europe à partir de suggestions précises et réalisables. Le choix de ces exemples sera essentiellement fondé sur l’originalité, sur les « lesser-known destinations » au sens anglophone de l’expression, sur les démarches qui proposent des rencontres inédites et leur donnent du sens, en faisant appel à l’imagination, mais aussi sur les outils qui aident la découverte.


Il sera donc moins question de récits – la médiation et la narration seront présentées ailleurs – que de l’évolution des politiques touristiques en Europe, de la mutation des acteurs qui portent ces politiques, des publications qui permettent de se guider, voire de conseils pratiques qui pointent les bonnes pratiques, sans oublier l’examen des résultats des entreprises les plus concernées, ainsi que les commentaires sur les rendez-vous touristiques incontournables et sur les nouveautés de la filière.


Si j’entreprends seulement aujourd’hui cette démarche d’analyse théorique et pratique, en l’ouvrant aux plus grands nombre, c’est que je me sens libre d’exprimer maintenant des points de vue personnels et de faire aussi la part des souvenirs. Mais ce travail de recherche d’actualité et de bilan rentre également dans la préparation de cours ou d’interventions qui me sont demandées.


Travailler ainsi au jour le jour en suivant l’actualité, y compris en suivant mes amis sur des sites communautaires de mieux en mieux documentés, consiste dans une grande mesure à actualiser le plan d’un cours dont les grands chapitres s’intitulent :


-           Quelle Europe ? Quelles compétences ? Quel travail ? Quels programmes ? Car les organisations concernées sont nombreuses et ne partagent pas les mêmes conceptions territoriales et politiques.


-           Le Tourisme en Europe : des chiffres, des faits, des secteurs.


-           L’Europe et les autres : le tourisme comme outil géopolitique.


-           Le rôle spécifique de la Commission européenne.


-           Le rôle spécifique du Parlement européen.


-           Pourquoi et comment le tourisme culturel en Europe ? Ou encore l’Europe comme laboratoire du tourisme culturel.


-           Le rôle spécifique du Conseil de l’Europe.


Du Livre Vert de 1995 à la Communication sur le tourisme de 2010

J’ai eu la chance de vivre de très près plusieurs moments clefs de l’histoire du tourisme européen de ces vingt-cinq dernières années. Le premier dans lequel j’ai été impliqué a abouti à un rendez-vous manqué. Le dernier a permis enfin la mise en œuvre, voire même la mise en synergie, d’une série de programmes où se retrouvent, à l’initiative de la Commission européenne mise en place en 2009, les grandes institutions européennes.


Trois Institutions travaillent ensemble


Je ne crois pas qu’il soit utile de s’appesantir sur le premier de ces épisodes, mais on peut sans doute en tirer des leçons. Le Commissaire en charge du tourisme au milieu des années 90, Christos Papoutsis, avait pris l’initiative très lucide de réfléchir sur la « Destination Europe », c’est-à-dire sur une politique communautaire du tourisme d’ordre supranational, au moins en ce qui concerne la communication commune, mais aussi dans la perspective des mesures d’impact, et dans celle d’inclure dans cette réflexion le tourisme culturel. Lors de la conclusion du Traité de Maastricht, un alinéa supplémentaire avait finalement été introduit dans l’article 3 en ce qui concerne les mesures dans les domaines de l’énergie, de la protection civile et du tourisme.


Il s’agit précisément de la rédaction du « Livre Vert sur le rôle de l’Union européenne dans lesecteur du Tourisme » (COM(95) finale et de la Proposition xde la Commission pour un premier programme multinational pour assister le tourisme européen nommé "Philoxenia" 1997/2000 COM (95) 168 final du 30 avril 1996).


Si le programme « Philoxenia » a bien commencé à se mettre en place, en bénéficiant par exemple des efforts de la parlementaire  européenne Helena Vaz da Silva et a même, de ce fait, concerné certains itinéraires culturels du Conseil de l’Europe qu’elle défendait comme « L'Itinéraire des Villes des Grandes Découvertes », c’est que des fonctionnaires de trois institutions ont décidé de travailler la main dans la main : d’un côté ceux de l’Agence pour la Culture créée par l’ancien Directeur Général du Conseil de l’Europe, JoséVidal-Beneyto et présidée par Edgar Morin, travaillant dans le cadre de l’UNESCO, de l’autre ceux de l’Unité Tourisme de la Commission européenne, sous l’égide du Commissaire en charge du tourisme et enfin la Direction de la Culture, de l’Enseignement et du Sport du Conseil de l’Europe, sous l’impulsion de Raymond Weber.


Christos Papoutsis
C’est là où la notion de tourisme culturel, malgré ses contours incertains, prend toute sa place. L’importance de visiter le patrimoine de l’autre est mise en avant par la Commission européenne comme un moteur du voyage en Europe, ce que le Conseil de l’Europe appelait par ailleurs de ses vœux depuis 1984. Je crois qu’il s’est agi d’une grande réussite, puisque par une sorte de complot interinstitutionnel des administrateurs, trois groupes avaient réussi à faire en sorte qu’en mars 1996, le Directeur Général de l’UNESCO, Federico Mayor Zaragoza, le Directeur Général du Conseil de l’Europe, Raymond Weber et le Commissaire européen Christos Papoutsis tiennent des discours complémentaires sur une philosophie commune des rapports entre tourisme et culture, dans le cadre même d’un Salon du tourisme, la BIT de Milan.



Quelques mois plus tard, une «Déclaration de Majorque» sur le tourisme culturel était proposée conjointement par l’UNESCO et le Conseil de l’Europe, grâce à des réunions aidées financièrement par la Commission Européenne. On y lit : 
«Depuis le Siècle des Lumières, la vie culturelle en Europe a trouvé un moyen d'expression, en même temps qu'une ressource inépuisable : les voyages. C'est l'Europe en effet qui, dans toutes les phases pacifiques de son histoire, a développé les échanges culturels liés à des déplacements : récits des écrivains-voyageurs, séjours d'artistes, inspiration cherchée sous d'autres cieux, modes des visites culturelles lointaines, comme ces fameux "tours en Europe" des  enfants de 1'aristocratie anglaise qui ont donné son nom au tourisme... À l'appui de ces pratiques, c'est toute une logistique de l'accueil initialement gracieux puis de l'hospitalité marchande qui s'est mise en place. L'Europe a inventé et mis au point le service touristique au bénéfice d'un tourisme initialement consacré à la culture et à la découverte de l'autre


Coup d’arrêt


Je suis content de relire aujourd’hui les textes issus des réunions préparatoires à cette Déclaration, car je me rends compte que la création de l’Institut Européen des Itinéraires culturels en 1997 a non seulement maintenu au Luxembourg un programme européen qui ne trouvait plus ses financements eu sein du Conseil de l’Europe, mais qu’il y a maintenu aussi un fil fragile tendu entre tris Institutions et qui pouvait être utilisé pour «Recoudre l’Europe» comme le disait José Maria Ballester.


En effet peine un an plus tard, au moment où l’Institut Européen des Itinéraires culturels s’installait au Grand-Duché de Luxembourg pour mettre en œuvre de manière concrète des initiatives qui se situent dans la prolongation logique de cette réflexion, le Conseil des Ministres du Tourisme, réuni dans le cadre de la Présidence luxembourgeoise du Conseil de l’Union Européenne, et à la demande entre autres  de l’Allemagne et du Royaume-Uni, retoquait le Livre Vert et ses préconisations pour revenir à une conception décentralisée et plus nationale des politiques touristiques, en demandant le retour au strict respect des règles de subsidiarité.


Malgré cette mauvaise nouvelle, une politique innovante en matière de médiation touristique a continué à développer. L’Institut a réussi également à mettre en œuvre la démarche de visibilité d’un programme de recherche intitulé PICTURE dont une partie visait une meilleure définition du tourisme culturel, mais dont l’effort essentiel était dirigé vers une analyse d’impact du tourisme culturel sur les ressources et l’économie des petites et moyennes villes. Nous sommes là entre 2003 et 2006.

Réunion finale du programme PICTURE. Abbaye de Neumünster
Salon du tourisme culturel des petites et moyennes villes

Autre étape et en quelque sorte une belle revanche, l’organisation en avril 2005 par l’Institut à Luxembourg de la conférence sur le tourisme culturel de la Présidence luxembourgeoise du Conseil de l’Union Européenne, réunissant les délégués des Ministères du la Culture et des Ministères du Tourisme des pays de l’Union Européenne et du Conseil de l’Europe. Du jamais vu sans doute sur autant de pays pour une véritable confrontation paneuropéenne entre culture et tourisme.


Tout repart


Une année plus tard, le 21 mars 2006, j’ai assisté à Vienne à la présentation des résultats de la Conférence des Ministres européens du Tourisme sous le titre : “Tourism - Key to Growth and Employment in Europe" (Le tourisme – clé de la croissance et de l’emploi en Europe). Le vice-président de la Commission, Günter Verheugen, déclarait à l’époque : 
L’Europe est la première destination des touristes dans le monde. Nous devons cependant faire davantage pour conserver notre avantage concurrentiel. Nos propositions ajoutent une valeur européenne aux efforts des États membres. Elles contribueront à promouvoir l’Union en tant que destination unique du tourisme, de façon plus efficace et coordonnée.




Un Agenda 21 pour le tourisme y était prévu qui a abouti à la mise en place d’un Groupe de réflexion sur le tourisme durable et compétitif et, en 2007, à la création du réseau NECSTOUR. La recherche systématique de données, qui est également annoncée, a certainement abouti au projet actuel d’Observatoire européen du tourisme. Il y est bien entendu question de meilleure visibilité, de convergence des instruments de financement européens vers le tourisme, toutes politiques qui sont aujourd’hui en train de prendre forme. Le site visiteurope.com, géré par la Commission Européenne du Tourisme (European Travel Commission) était aussi lancé en grande pompe à cette occasion, dans l’harmonie des grands opérateurs touristiques et des offices nationaux des futurs vingt-sept et l’implication de grands opérateurs informatiques.


Mais avec beaucoup de prudence et de respect, la Commission affirmait : 
«En mettant en œuvre  cette politique, la Commission développera un partenariat étroit avec les autorités des États membres et les intervenants dans le secteur du tourisme. Les partenariats doivent constituer un élément central de l’action à tous les niveaux (européen, national, régional et local; public et privé). En règle générale la Commission affirme que la politique européenne du tourisme devrait être complémentaire des politiques menées dans les États membres».


On comprendra que je ne passe pas sous silence le fait que  11 avril 2006, Jean-Claude Juncker, Premier ministre luxembourgeois, présentait devant l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe un rapport sur les relations entre le Conseil de l'Europe et l'Union européenne qui lui avait été commandé un an plus tôt par les chefs d'État ou de gouvernement des 46 États membres, réunis au sommet à Varsovie les 16 et 17 mai 2005. Le rapport Juncker formulait des recommandations pour améliorer la coopération et la coordination entre les deux organisations : Conseil de l’Europe et Union Européenne. Le premier Ministre remarquait tout particulièrement qu’en ce qui concerne la coopération culturelle, l’Union Européenne poursuit les mêmes buts que le Conseil de l’Europe à travers son Programme Culture 2000 (promotion de l’identité, respect de la diversité, soutien à la créativité, etc.) et qu’elle se dit d’être ouverte à la collaboration avec les autres organisations internationales compétentes. Le Premier Ministre Juncker suggérait par conséquent qu’une telle collaboration entre les deux Institutions s’élargisse aux itinéraires culturels européens, comme c’est le cas affirmait-il «…pour d’autres initiatives, telles que l’année européenne des langues ; les journées européennes du patrimoine.»


La même année avait lieu à Delphes un Forum organisé autour de la remise de la mention Itinéraire culturel du Conseil de l’Europe à la Route de l’Olivier
Les participants demandaient en fin de réunion au Conseil de l’Europe de lancer une initiative ou plate-forme de Delphes susceptible de réunir tous les acteurs responsables, ainsi que les financeurs des itinéraires culturels. Il confiait à l’Institut de Luxembourg le soin de préparer une analyse et un rapport introductif à cette plate-forme en s’appuyant sur les réunions du XXe anniversaire du programme.

 Exposition Route de l'Olivier. Delphes 2006.

Vers une nouvelle politique européenne


Le 17 octobre 2007 la Commission des Transports et du Tourisme du Parlement Européen, après consultation de la Commission Culture, propose un Rapport et des Recommandations «Sur une nouvelle politique européenne du tourisme visant à renforcer le partenariat pour le tourisme en Europe » (2006/2129(INI)) et Rapport. Le Parlement, sur la base de la Résolution du 8 septembre 2005 sur les nouvelles perspectives et les nouveaux défis pour un tourisme européen durable, invite à cette occasion de choisir des priorités, afin de les concrétiser plus rapidement. Il entend en particulier encourager les initiatives telles que les itinéraires culturels européens, comme expériences  positives pour leurs actions de promotion de destinations touristiques européennes qui nécessitent une visibilité accrue.


Tandis que l’Union Européenne dédie une année au dialogue culturel et que se poursuit une réflexion sur un «Label du Patrimoine européen», idée lancée en 2005 par la France à la veille du Référendum sur le Traité constitutionnel, une série d’initiatives européennes prennent forme pour sélectionner les bonnes pratiques et établir des critères de gestion et d’évaluation de destinations et sites européens durables.


NECSTOUR, le réseau des Régions européennes qui s’insère dans le cadre de l’Agenda pour un Tourisme Européen Compétitif et Durable est créé à Florence en septembre 2007 à l’initiative de la Région Toscane, suivie par Provence Alpes Côte d’Azur et Catalogne. Depuis 2007,  de nombreuses rencontres ont eu lieu (Marseille, Riccione, Plymouth, Florence, Bruxelles…) pour arriver à la constitution d’une association qui accueille le plus grand nombre possible de régions européennes, des Universités et des Institutions qui travaillent avec les Régions en matière de tourisme durable et compétitif. Le réseau a commencé à individualiser les indicateurs de la durabilité qui seront testés sur de petites destinations avant d’être validés. L’Institut Européen des Itinéraires culturels est membre du réseau depuis son origine. Il  a apporté sa contribution régulière dans le groupe de travail sur la « Conservation Active du patrimoine culturel et des identités des destinations  » et depuis l’été 2011 dans le cadre d’une task-force « Gouvernance des itinéraires culturels » en élaborant un questionnaire sur les rapports entre politiques régionales et itinéraires culturels.


Le Programme EDEN (European Destination of Excellence) a été lancé avec un grand succès par la Commission européenne avec le but de sélectionner des destinations en dehors de circuits touristiques de masse, destinations qui respectent et valorisent les contextes environnementaux, économiques et sociaux à l’échelle locale.


On trouve bien sûr sur le site de la Commission européenne, la description des programmes en question, ainsi que celle d’autres initiatives complémentaires et celles qui ont été retenues plus récemment.

Je n’évoquerais pas ce qui concerne plus directement le travail considérable qui a été engagé ou mis à jour dans les mêmes années sur le droit du tourisme : droit des passagers, législation du transport low-cost, règlements concernant les locations de résidences ou de voitures… Le document du 15 mai 2007 préparé par l’organisation Tourismlaw déjà cité est extrêmement complet à cet égard.



Le Traité de Lisbonne, dimension économique et pouvoir de l’itinérance

Le Traité de Lisbonne, adopté après beaucoup de nuits blanches fin 2009, a sauvé in extremis le concept même de Traité constitutionnel commun. Il est venu clore cette séquence où le dynamisme des Institutions a dû faire face à une inertie réelle de certains états et fort heureusement, a pu bénéficier du dynamisme des autres, en ce qui concerne l’idée de politiques touristiques communes.


On n’a peut-être par contre pas suffisamment mesuré sur le moment l’importance de l’article 195 du TFUE. L’Union européenne peut en effet ainsi : 
«Promouvoir la compétitivité des entreprises de ce secteur et créer un environnement favorable à leur développement, favoriser la coopération entre les États membres, notamment par l'échange de bonnes pratiques et enfin développer une approche intégrée du tourisme en assurant la prise en considération de ce secteur dans ses autres politiques.»


La porte étant ainsi entrouverte, le Commissaire européen Antonio Tajani, avec l’aide de son équipe rapprochée et des fonctionnaires de l’Unité Tourisme, a mis seulement six mois à préparer une «Communication de la Commission» intitulée : «L'Europe, première destination touristique au monde - un nouveau cadre politique pour le tourisme européen.» 
Il l’a de surcroît présentée à la fin de la Présidence espagnole du Conseil de l’Union Européenne, d’abord lors d’une conférence de presse à Bruxelles, puis ensuite à la mairie de la capitale de Galice, à la fin d’une marche de cinq kilomètres vers Saint-Jacques de Compostelle. Cette marche redoublait, de toute évidence par le symbole, l’importance de l’itinérance vers l’Europe et en Europe, un mouvement qui avait été lancé en septembre 1987 par le Conseil de l’Europe, puis renouvelé par une exposition en octobre 2007 sous le thème : « L’Europe est le chemin » sur la place de l’Obraidoro.

Exposition "L'Europe est le chemin"
Si cette situation inédite a favorisé le développement d’un volet d’expression touristique complètement original et très exigeant des Itinéraires culturels, par rapport aux marchés classiques, offre touristique massivement ignorée par les plus importants « stakeholders » pendant quasiment vint ans, c’est que de bons anges se sont penchés début 2010 sur la question du rapprochement opérationnel entre les deux Institutions.
La rencontre la plus symbolique et de ce fait certainement la plus émouvante, s’est déroulée en mars 2010 lors de l’Assemblée Générale de l’Association européenne des Vie Francigene à Montefiascone, en présence du Commissaire Antonio Tajani et de la députée européenne Silvia Costa. Il s’agit de toute évidence du moment clef où le processus s’est accéléré et où l’idée de présenter une exposition sur les Itinéraires culturels à Bruxelles lors de la Journée Européenne du Tourisme a pris réellement forme. Après cette date, les bons anges se sont multipliés pour aboutir à un travail en commun, pour ne pas parler de la finalisation en moins d’un  an de  l’Accord Partiel élargi sur les Itinéraires culturels du Conseil de l’Europe. 
Le second Forum de Delphes en avril de la même année, et une réunion organisée au sein du Campus Lucca en mai ont apporté leur concours pour réunir des engagements politiques, comme pour animer des discussions exigeantes, favorisant une démarche de convergence devenue ainsi incontournable.


Massimo Tedeschi, Antonio Tajani et Silvia Costa. Montefiascone
L’intention de la « Communication » est bien évidemment d’abord clairement économique : «Le tourisme est une activité économique stratégique pour l'économie européenne et le secteur va probablement continuer à gagner en importance dans les années à venir….Le secteur génère plus de quatre pour cent du PIB de l'UE, avec environ deux millions d'entreprises, qui emploient près de quatre pour cent de la main d'œuvre totale (soit environ huit millions d'emplois). 
Toutefois, compte tenu des secteurs dépendant indirectement du tourisme, on peut estimer que la contribution de celui-ci au PIB est bien plus importante : indirectement, le tourisme génère environ onze pour cent du PIB de l'Union européenne et emploie quelque douze pour cent de la main d'œuvre.»
Prenant acte cependant que, depuis 2008, la crise économique menace tous les secteurs et que certains aléas climatiques ou géologiques n’ont pas favorisé le tourisme européen dans son retour vers la profitabilité, la Communication ajoute : 
«Ce contexte difficile pour l’industrie du tourisme a mis en évidence un certain nombre de défis auxquels doit faire face le secteur du tourisme européen. Pour y répondre, il est primordial que tous les acteurs du secteur puissent joindre leurs efforts et travailler dans un cadre politique consolidé qui prenne en considération les nouvelles priorités de l’UE exprimées dans sa stratégie « Europe 2020 » : l’Europe doit demeurer la première destination au monde, apte à valoriser la richesse et la diversité des territoires qui la composent


Cette primauté européenne est réaffirmée à plusieurs reprises : 

«Par ailleurs, l’Union européenne demeure la première destination touristique au monde, avec 370 millions d’arrivées de touristes internationaux pour l’année 2008, soit 40 % des arrivées à travers le monde, parmi lesquels 7,6 millions en provenance des pays BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine), en nette croissance par rapport à 4,2 millions en 2004. Ces arrivées ont généré des revenus de l'ordre de 266 milliards d'euros, dont 75 milliards d'euros par des touristes venant d'en dehors de l'Union. Quant aux voyages effectués par les ressortissants européens eux-mêmes, ils sont estimés à environ 1,4 milliard, dont environ 90 % ont lieu au sein de l’UE


Un tel constat liminaire, qui est longuement développé dans le texte, a pour intérêt de constituer le socle d’une série de quatre axes majeurs de travail que nous aurons l’occasion dans les mois qui viennent de développer en fonction des dates de leur mise en application. Mais la véritable révolution ne concerne pas seulement l’importance qui est accordée au secteur culturel et patrimonial - nous avons vu qu’il était déjà présent dans les publications antérieures - mais le fait que cette priorité transversale culturelle soit affirmée avec autant de force dans une Communication qui engage tous les pays membres : 

«L'Union européenne peut contribuer à la diversification de l’offre en encourageant les flux intra-européens grâce à la valorisation de produits touristiques thématiques à l’échelle européenne. En effet, les synergies transnationales peuvent favoriser une meilleure promotion et une visibilité touristique accrue. Elles peuvent ainsi inclure l'ensemble du patrimoine dans toute sa diversité: patrimoine culturel (y compris les itinéraires culturels), création culturelle contemporaine, sites naturels protégés, tourisme de bien-être et de santé (y compris tourisme thermal), tourisme d’éducation, tourisme oenogastronomique, historique, sportif ou religieux, agritourisme, tourisme rural, ou encore le tourisme valorisant le patrimoine maritime et culturel subaquatique ainsi que le patrimoine industriel ou le tissu économique d’une région.»


Et encore : 
«À cet effet, la Commission a déjà entamé une coopération avec le Conseil de l’Europe en matière de tourisme culturel afin de mieux en évaluer l’impact et d’en assurer une meilleure visibilité. D'autres initiatives transfrontalières ont vu le jour ces dernières années, comme des parcours cyclistes européens ou des itinéraires de pèlerinage, tels que la « Via Francigena » ou le chemin de Saint-Jacques de Compostelle. La Commission considère que plusieurs de ces initiatives gagneraient à être reconnues et à bénéficier d'une légitimité européenne qui garantirait leur caractère transnational. Cette reconnaissance de leur vocation européenne est susceptible de créer les mêmes dynamiques que l'expérience réussie des « Capitales européennes de la Culture » qui agissent comme un catalyseur pour le développement local et le tourisme en mettant en œuvre tous les ans un programme culturel ambitieux et attractif à l’échelle européenne.»


Exposition des Itinéraires culturels du Conseil de l'Europe.
Berleymont septembre 2010

Il ne s’agit pas là d’un simple exposé d’intention puisque, après la Journée Européenne du Tourisme consacrée aux Itinéraires culturels en septembre 2010, et grâce à un budget adopté par le Parlement européen fin 2010, deux appels à proposition concernant le tourisme thématique transfrontalier ont été mis en place en 2011 et qu’un programme joint se poursuit entre le Conseil de l’Europe et la Commission Européenne depuis novembre dernier.

Label(s) de qualité

Qui dit destination commune et intégrée, dit forcément - au moins - construction d’une image et d’une communication communes : 
«L'image de l'Europe et sa perception comme un ensemble de destinations touristiques durables et de qualité doit être améliorée. Le renforcement de l’attractivité des destinations européennes et leur meilleure visibilité devraient entraîner d’importantes retombées économiques par la stimulation des arrivées de touristes non-européens, mais aussi à travers un intérêt accru de la part des Européens pour voyager sur leur propre continent.» Et encore : «Développer une marque européenne « Qualité Tourisme », sur base des expériences nationales existantes, pour accroître la sécurité et la confiance du consommateur dans le produit touristique et récompenser les démarches rigoureuses engagées par les professionnels du tourisme dont l'objectif est la qualité des services touristiques pour la satisfaction du client


Pour qui fréquente les organisations transnationales ou intergouvernementales depuis des dizaines d’années, ce langage est non seulement particulièrement nouveau, mais il veut dire que des habitudes bien ancrées doivent au plus vite être bousculées, et en particulier toutes celles qui visent la concurrence sauvage entre destinations européennes. «Vérité en deça des Pyrénées, erreur au-delà !» est une devise largement appliquée par les offices nationaux du tourisme. 
Or l’Action 18 prévoit de : 
«Créer, en coopération avec les États membres, une véritable «Marque Europe», qui puisse compléter les efforts promotionnels au niveau national et régional et mieux permettre aux destinations européennes de se distinguer des autres destinations internationales.» et la N° 20, de  «Favoriser des actions communes de promotion lors de grands événements internationaux ou dans les foires et salons touristiques de grande ampleur


Qu’en est-il vraiment ? Je ne développerai pas de manière trop détaillée la façon dont le « Label du patrimoine européen » - d’ailleurs cité dans la Communication  - est entre temps devenu un programme communautaire qui vise, avec des critères de citoyenneté européenne, à indiquer aux touristes des sites, voire des espaces transfrontaliers hautement significatifs de l’histoire de l’Europe. Il suffit de reprendre quelques citations de la Décision No1194/2011/UE du Parlement Européen et du Conseil portant définition de ce label dans un cadre élargi : «En plus de renforcer le sentiment d’appartenance à l’Union chez les citoyens européens et de stimuler le dialogue interculturel, l’action pourrait aussi contribuer à mettre en valeur le patrimoine culturel et à souligner son intérêt, à accroître le rôle du patrimoine dans le développement économique et durable des régions, en particulier à travers le tourisme culturel, à encourager les synergies entre le patrimoine culturel, d’une part, et la création et la créativité contemporaines, d’autre part, et, plus généralement, à promouvoir les valeurs démocratiques et les droits de l’homme qui sous-tendent l’intégration européenne.»

Tout en indiquant en quoi il assure une complémentarité par rapport à d’autres initiatives antérieures, le texte précise à propos du label : 
«Il y a lieu de chercher à donner au label une valeur ajoutée et à établir des complémentarités entre ce label et d’autres initiatives, telles que la «liste du patrimoine mondial» et la «liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité» de l’Unesco ainsi que les «itinéraires culturels européens» du Conseil de l’Europe. La valeur ajoutée du label devrait découler de la contribution des sites sélectionnés à l’histoire et à la culture européennes, y compris la construction de l’Union, d’une dimension éducative claire atteignant les citoyens, en particulier les jeunes, et de l’établissement de contacts entre les sites pour que ceux-ci partagent leurs expériences et leurs bonnes pratiques. L’action devrait mettre l’accent principalement sur la promotion et l’accessibilité des sites, de même que sur la qualité des informations et des activités proposées, plutôt que sur la sauvegarde des sites, qui devrait relever des dispositifs de préservation existants


Par contre, je tiens à signaler quelques-uns des axes du travail entrepris dans le cadre d’une consultation des professionnels du tourisme visant la mise en place d’un « European Tourism Quality Label ». Une réunion ouverte sur les résultats de cette consultation ayant eu lieu le 25 janvier 2012 à Bruxelles, j’aurai l’occasion d’y revenir. Mais cette consultation précisait bien entendu les objectifs du futur ETQ répondant un concept de « Label ombrelle ». 
Il se présente de ce fait un peu comme un animal à trois têtes : 

« For Europe, it is a competitive instrument and a promotion tool: it aims at improving the profile of Europe as a set of high-quality destinations in order to remain Nr 1 tourism destination of the world. For tourism businesses, it is a management tool: it provides tourism establishments and organisations with the possibility of constant monitoring and improvement of their performance to win the confidence of consumers and business partners. It also seeks to facilitate business connections and the exchange of best practices. For consumers it is an information tool: its aim is to empower consumers by raising their awareness on what they could expect from establishments which bear the ETQ logo in comparison with those not recognised by the ETQ Label.


Les discussions qui ont eu lieu de manière très ouverte en janvier 2012, en présence des délégués des pays membres et des grandes organisations représentant les professionnels et les consommateurs, ont été passionnantes car on pouvait y écouter de manière très concrète combien les débats sur la subsidiarité en cette matière sont loin d’être clos. Des labels de qualité existent bien entendu déjà, sans parler des normes ISO et un énorme travail a été déjà réalisé en France ou en Italie. Mais la question est bien de savoir à quoi peut servir une ombrelle quand le soleil ne brille pas partout avec la même intensité.

En forme de conclusions ouvertes

Dans son ouvrage polémique « Le doux monstre de Bruxelles ou l’Europe sous tutelle » Hans Magnus Enzensberger indique qu’à son sens, nous sommes entrés dans un âge post-démocratique. Il cite en particulier Robert Menasse (voir « Populismus zerstört Europa » paru dans Die Zeit du 20 mai 2010) qui a longuement commenté le « déficit démocratique » de l’Union européenne. Il revient sur un des principes fondateurs qui explique, mais ne justifie sans doute pas, ce long parcours semé d’embûches que je viens d’évoquer : 

«En vertu du principe de subsidiarité, dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive, l’Union intervient seulement si, et dans la mesure où, les objectifs de l’action envisagée ne peuvent pas être atteints de manière suffisante par les Etats membres, tant au niveau central qu’au niveau régional et local, mais peuvent l’être mieux, en raison des dimensions ou des effets de l’action envisagée, au niveau de l’Union».


De fait, nous y sommes, pour le tourisme, en ayant tout de même l’impression d’avoir perdu quinze ans !

Ceci dit l’ancien président de la République fédérale d’Allemagne Roman Herzog, en tempérant nos ardeurs ajouterait à ce texte un commentaire peut-être réaliste sur l’équilibre entre subsidiarité et centralité, réaliste mais bien décourageant : 

«En vérité, cela devrait aller de soi, mais dans l’esprit des hommes politiques, fonctionnaires ou lobbyistes de Bruxelles, cela ne joue à peu près aucun rôle. » (Lire « Die EU schadet der Europa-Idee » dans le Frankfurter Allegemeine Zzeitung du 15 janvier 2010).»


Je suis de toute manière un éternel optimiste et je veux prendre positivement le fait que la démocratie européenne a inventé, poussée par sa nécessité de réussite de l’Union, un concept post-moderne de prise de décisions qui lui permet d’avancer en posant au fur et à mesure sur la table ses contradictions. Si je reste frustré d’avoir eu à vivre le développement d’un magnifique projet en ayant l’impression de parcourir en permanence des montagnes russes, je reste cependant persuadé que ce qui se nomme toujours tourisme culturel, faute de mieux, touche profondément une dimension anthropologique qui est celle de la nécessité de la «Route», dimension bien entendu confirmée par l’universalité du pèlerinage et par la métaphore du «Chant des pistes » de Bruce Chatwin et que nous sommes entrés sans retour dans une phase de ré-enchantement de l’idée européenne par le tourisme de découverte, dans sa version, en effet, démocratique.


J’ai inscrit depuis des années comme une devise pour mon travail le texte de 1994 de Georges Duby dans l’ouvrage «Repousser l’Horizon» : 
«L’histoire surtout est entraînante. Elle n’a cessé de jouer ce rôle impulsif en Europe. Je suis persuadé que notre culture tire une grande partie de sa vigueur de ce qu’elle est plus résolument que les autres cultures du monde historisante, et que le goût qu’ont les Européens de leur passé, le respect qu’ils ont porté à leurs souvenirs, le soin qu’ils ont pris de les transmettre d’âge en âge, leur sentiment d’être en marche constamment vers un but constituent l’un des éléments majeurs de cet esprit faustien qui permit à l’Europe dans tous les domaines ses conquêtes.»

Repères bibliographiques (ouvrages cités) :
Tomasz Studzieniecki, Tomasz Mazurek, (2007) "How to promote a cross-border region as a tourism destination – the case study of the bug Euroregion", Tourism Review, Vol. 62 Iss: 1, pp.34 – 38.

Pour le tourisme culturel. Editeur : Institut culturel del Món /Agence européenne pour la culture. Année de parution : 1996. ISBN/ISSN : 84.87789.41.2

Hans Magnus Enzensberger. Le doux monstre de Bruxelles ou l’Europe sous tutelle. .2011. Edition en langue allemande : Sanftes Monster Brüssel oder der Entmündigung Europas. Suhrkamp Verlab Berlin. 2011.

Bruce Chatwin. The Song Lines. Franklin Center: Franklin Library, 1986.  «Le vrai domicile de l'Homme n'est pas une maison mais la Route, et la vie elle-même est un voyage à faire à pied»

Repousser l’Horizon / Pushing back the Horizon. Editions du Conseil de l’Europe / Editions du Rouergue. 1994.