jeudi 15 juin 2023

Route de la soie (2) Exposer en Inde 1989-1990. Pourquoi le patronage du Conseil de l'Europe ?

  




Exposition "Art sur Soie. Bianchini-Férier. Cent ans de création textile." 1990. 
Bombay et New Delhi


La visibilité d’un bureau de Textile / Art, rue Félix Faure à Paris, où pouvait être consulté l’ensemble de la documentation réunie par la revue ( dossiers d’artistes, ouvrages spécialisés), m’a permis de rencontrer plusieurs personnalités qui ont orienté des phases importantes de mon parcours professionnel. 



Portrait de  Rosabianca Skira par Balthus 


C'est le cas par exemple en 1984 de Rosabianca Skira (L'épouse d'Albert Skira et Directrice des éditions du même nom, après le décès de son mari). Elle était venue me demander de préparer un ouvrage sur l'art textile pour amplifier la visibilité de l’exposition « Fibres Art » qui était prévue à l’horizon de septembre 1985.  


C’est également rue Félix Faure que j’ai reçu en septembre 1986 la visite de José Vidal-Beneyto, Directeur de la DECS (Direction de l'Enseignement, de la Culture et du Sport) du Conseil de l'Europe), décédé en 2010.



José Vidal-Beneyto


Il cherchait alors un intervenant pour une réunion à Toulouse sur le thème "Création et nouvelles technologies" lors de la première édition du salon FAUST, manifestation disparue depuis. Il avait été guidé vers moi par le Ministère français de la Culture, en particulier à l'époque par le Directeur de l'Agence pour les nouvelles technologies établie rue Saint Sabin à Paris. Cette Agence avait en effet attribué une subvention à Textile / Art pour étudier, grâce à l’aide de l'ordinateur (le Goupil), la mise au point d’un logiciel de Conception Assistée par Ordinateur (CAO) pour aider les artisans tisserands dans leurs recherches d’armures textiles.




Ce rendez-vous se situait également au moment où je finissais de préparer avec Françoise Vincent-Ricard, Dominique Negel et Pascale Nectoux (photographie ci-dessous) l'exposition de la Cité des Sciences et de l'Industrie à La Villette "La mode, une industrie de pointe", riche en informatique. Je pense en particulier à l’utilisation novatrice pour l’époque de la carte à puce. Distribuée aux visiteurs, elle permettait, aux étapes majeures du parcours, d’enregistre de manière interactive les choix individuels en matière de fibres, de fils, de tissus, de silhouettes / mode.

Il suffisait d’introduire la carte dans des lecteurs et de répondre à des questionnaires à choix multiple. Par exemple, en touchant préalablement des échantillons de fibres ou de tissus, afin d’exprimer une préférence. La lecture finale de tous ces enregistrements, grâce à l’utilisation de vidéodisques interactifs, permettant d’explorer les sociostyles des visiteurs / acteurs de leurs choix en vue de la saison printemps / été 1987, à venir quelques mois plus tard. L’ensemble du travail ayant été préparé en amont pendant deux années et demie, grâce à des discussions avec des groupes de stylistes et avec l’un des inventeurs des sociostyles, Bernard Cathelat, en relation avec le CCA (Centre de Communication Avancé du Groupe Havas).



Commissariat de l'exposition "La Mode, une Industrie de pointe"


Je pense que le Directeur de la DECS, un philosophe, sociologue, politologue et sémiologue de la Culture, a été séduit par le fait qu’après avoir attendu mon tour quelques heures pour intervenir, j’avais commenté les motifs des cravates des participants majoritairement masculins, en rappelant ainsi à l’ensemble des participants que pour l'impression ou le tissage des motifs des tissus en question, il avait fallu les numériser sur une base 0 / 1. Le travail remarquable de l'historien et plasticien Patrice Hugues sur le "Langage du tissu", tout comme sa collaboration avec Régis Debray, m'ont énormément apporté sur les plans théorique et esthétique depuis notre première rencontre en 1979.  



Cravate Bianchini-Férier et catalogue de l'exposition Raoul Dufy - Palais Lumière, Evian-les-Bains


L’emploi d’un langage binaire a en effet été inventé de manière intuitive depuis des siècles. Entre autres, par les civilisations précolombiennes, tandis que le Métier Jacquard, avec ses cartes perforées, est assez clairement universellement considéré comme l'ancêtre de l'ordinateur.



Page web du site / base de données de l'Institut européen des Itinéraires culturels (2003-2016) sur les Routes de la Soie


Il m'a alors demandé de réfléchir à la faisabilité d’un Itinéraire de la Soie en Europe pour diversifier les thèmes envisagés au sein des groupes de travail intergouvernementaux, en complétant le premier itinéraire culturel du Conseil de l’Europe : les Chemins de pèlerinage vers Saint-Jacques-de Compostelle, thème "inventé" par José Maria Ballester, fonctionnaire titulaire, Chef de Division du Patrimoine (alors rattachée au secteur de l'environnement).

Cette Route de pèlerinage allait en effet s’avérer politiquement « fondatrice » de ce programme, un an après notre rencontre, lors de la Déclaration de Compostelle qui scellait publiquement la mise en place d’un défi souhaité dès 1984 par une Recommandation de l’Assemblée Parlementaire du COE et envisagé dans son concept dès les années 60 dans un rapport intitulé « L’Europe continue ». L’idée force consistait à encourager et accompagner la nécessité d’une généralisation de la découverte mutuelle des formes d’identités communes propres aux Européens, grâce au voyage durant le temps de non travail.

"Le sens de 1'humain dans la société, les idées de liberté et de justice et la confiance dans le progrès sont des principes qui historiquement ont forgé les différentes cultures qui créent I'identité européenne. Cette identité culturelle est, aujourd'hui comme hier, le fruit de l'existence d'un espace européen chargé de la mémoire collective et parcouru de chemins qui surmontent les distances, les frontières et les incompréhensions. Le Conseil de l'Europe propose aujourd'hui la revitalisation de l'un de ces chemins, celui qui conduisait à Saint-Jacques de Compostelle. Ce chemin, hautement symbolique dans le processus de construction européenne, servira de référence et d'exemple pour des actions futures."



José Maria Ballester


Les deux hommes avaient été nommés par le Secrétaire Général espagnol du COE, Marcelino Oreja, ancien ministre des Affaires étrangères de son pays et futur Commissaire à la Culture de l'Union Européenne.

J'ai ainsi reçu mon premier contrat du Conseil en septembre 1987, un mois avant cette naissance officielle.

La « rivalité / complémentarité » entre les deux hommes s'est poursuivie jusqu'en 1990 lorsque la nouvelle Secrétaire Générale Madame CatherineLalumière nommée en 1989 a suggéré à José Vidal de connaître d’autres horizons en le remplaçant par mon futur Directeur, le Luxembourgeois Raymond Weber qui deviendra à son tour le « meilleur rival » de José-Maria Ballester dans une nouvelle « complémentarité dialectique » que j’ai appris à apprécier dans ses aspects positifs quand j'ai rejoint le Conseil en 1992.

C'est en 1993, après une évaluation du programme et une large réunion à Strasbourg des acteurs des chemins de pèlerinage, que le programme des Itinéraires culturels s’est « réunifié » en réintégrant le programme des Chemins de Compostelle, alors piloté par la Division du Patrimoine, dans l’ensemble des attributions de celle de la Culture, même si au cours des années, les Comités responsables des deux secteurs ont été amenés à prendre des décisions obligatoirement conjointes.


Après le départ rendu officiel de José Vidal-Beneyto, celui-ci a créé, dans le cadre de l'UNESCO, l'Agence européenne pour la Culture, présidée par Edgar Morin avec la contribution de Jacques Attali, lui-même à la tête de la Banque européenne d'investissement, la BERD jusqu'en 1993. Une Agence européenne avec laquelle j'ai eu aussi le plaisir de travailler à plusieurs reprises, en particulier lors d’une rencontre en 1993 avec Serge Trigano, le PDG de « Nouvelles Frontières » qui venait de succéder à son père Gilbert. Après une présentation de l’initiative du Conseil de l’Europe, il a suggéré de manière "diplomatique" que nous revenions le voir « …quand nous aurions à lui proposer un projet réaliste du point de vue commercial ».

Cette agence a également bénéficié dans ces mêmes années d’un espace d’exposition lors du Salon du Tourisme de Milan (BIT), en y invitant les Itinéraires culturels du Conseil de l'Europe. 

 


Réunion en 2001 à Saint-Jacques-de-Compostelle dans le cadre des capitales européennes de la Culture


En 2001, j'ai invité un représentant de l’Agence à Saint-Jacques de Compostelle, lorsque la ville a été, avec sept autres lauréats, Capitale européenne de la Culture. C’est en effet le ministère de la Culture du Grand-Duché de Luxembourg qui a confié à l’IEIC le soin de préparer dans la capitale de la Galice, une rencontre pluridisciplinaire.

La présentation du contexte institutionnel m’a semblée nécessaire, compte tenu de la singularité de ma position d'expert. Je n’avais en effet aucune formation politique ou administrative pour espérer travailler en relation avec des institutions internationales, mais je suis heureux que cette relation de travail ait pu se poursuivre jusqu'aujourd'hui où je garde fort heureusement des relations scientifiques et amicales avec certains itinéraires. 

Cette seconde partie se referme ainsi, dans la proximité du premier itinéraire culturel du Conseil de l'Europe. Il est temps d'en venir à l'exposition proprement dite, ce qui fera l'objet de la troisième partie de cet article sur la conception et la mise en place pratique de l'exposition patronnée par le Conseil de l'Europe !



Cathédrale de Saint-Jacques-de-Compostelle