lundi 16 juillet 2012

Le tourisme et l'Europe dans les organisations internationales (II)


L’OCDE


Ce n’est pas simplement dans le but d’être le plus complet possible que j’ai voulu faire un détour par l’OCDE, l'Organisation de Coopération et de Développement Économiques. L’OCDE est née en 1960 lorsque 18 pays européens, les États-Unis et le Canada ont uni leurs forces pour fonder une organisation vouée au développement mondial. Aujourd’hui, elle compte 34 pays membres à travers le monde, de l’Amérique du Nord et du Sud à l’Europe, en passant par la région Asie-Pacifique. J’ai participé à quelques réunions de cette organisation et j’ai longtemps reçu les documents publiés pour ce qui concerne le tourisme. Sa mission est « de promouvoir les politiques qui amélioreront le bien-être économique et social partout dans le monde. »

Dans ce but elle offre aux gouvernements un forum où ils peuvent conjuguer leurs efforts, partager leurs expériences et chercher des solutions à des problèmes communs. Dans ce cadre, la publication de statistiques et d’analyses des politiques et des stratégies nationales sont par conséquent à l’origine de références extrêmement utiles.
Le tourisme constituant – en tout cas depuis la date de création de cette organisation – un des moteurs du changement économique, social et environnemental, caractérisé par une activité qui intervient de manière notable dans les flux mondiaux d’échanges et d’investissement, il est normal qu’elle se soit donnée des compétences en matière de tourisme. La dernière note d’orientation du Secrétaire Général de l’Institution (23-24 mai 2012) s’inscrit dans une longueur d’onde qui ne surprendra aucun lecteur. « Il faudra notamment faire avancer les négociations sur le changement climatique et mettre en application les engagements souscrits dans ce domaine, et également élargir la coopération internationale en matière d’aide pour le commerce, d’échanges de services, de lutte contre le protectionnisme et de renforcement du système commercial multilatéral, compte tenu de l’impasse dans laquelle se trouvent les négociations à l’OMC. » écrit  Angel Gurria qui ajoute vouloir  apporter un soutien aux pays en approfondissant et en renforçant les «…travaux consacrés aux nouvelles sources de croissance, comme la croissance verte, les actifs fondés sur le savoir, les compétences, l’égalité homme-femme et les migrations. »



Analyses et évolutions


L’OCDE a publié depuis 2003 un ensemble d’ouvrages généraux et de communications de colloques dans une optique liée aux rapports réguliers  : « Le tourisme dans les pays de l’OCDE : Tendances et Politiques » dont la version 2010 est en ligne. On peut citer : « Innovation and Growth in Tourism » (2003), « Culture and tourism, a growing importance » (2008), Tourism Trends & Policies (2010), « OECD Studies on Tourism - Italy: Review of Issues and Policies » (2011) et « Climate Change and Tourism Policy in OECD Countries » (2011).

Les données fournies sont à la fois diverses et souvent très détaillées. Il est par conséquent difficile de les résumer. C’est cependant le concept de crise qui est le plus fortement argumenté et mis en valeur par des données chiffrées. Les raisons de cette crise, au-delà des excès de la financiarisation mondiale sans freins que l’on connaît, passent par des constats d’évidence :
L’image du tourisme s’est ainsi transformée sous au moins trois aspects précisent les rapports : sur le plan de l’offre, la concurrence entre les destinations s’est exacerbée, sur le plan de la demande, de nouvelles clientèles internationales sont apparues  et sur le plan de la demande également, les déplacements sont devenus plus nombreux mais plus courts. 

Le tourisme interne, c’est-à-dire le tourisme des résidents à l’intérieur de leur propre pays de résidence, pèse beaucoup plus lourd que le tourisme récepteur.
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le tourisme international concernait principalement l’Europe et l’Amérique du Nord. Depuis les années 1970, l’Asie-Pacifique, l’Afrique et le Moyen-Orient ont pris une part significative dans le tourisme mondial. Toutefois, l’Europe continue de peser pour plus de la moitié à la fois en termes d’arrivées de touristes internationaux et de recettes.

En Europe, au cours des deux dernières décennies, le développement du tourisme a été relativement modeste pour les pays d’Europe occidentale qui continuent cependant de recevoir les effectifs de touristes les plus nombreux. La croissance a été particulièrement dynamique pour les pays d’Europe centrale et orientale ; elle est restée assez forte pour les pays d’Europe du Sud et du pourtour méditerranéen ainsi que pour les pays d’Europe du Nord.
En Europe centrale et orientale, la forte croissance du tourisme récepteur s’est amorcée au début des années 90 après la chute du mur de Berlin. Une croissance assez forte a perduré dans les années 2000, notamment en République tchèque et en République slovaque. En Estonie, la croissance du tourisme récepteur a été rapide au cours des années 90, et est restée soutenue dans les années 2000. En Russie, le nombre d’arrivées de visiteurs a augmenté à un rythme modéré au cours des années 2000.

L’Europe du Sud et méditerranéenne a de tout temps été une zone de fort tourisme récepteur. Les pays de l’OCDE y occupent une part prépondérante avec environ 85 % des arrivées. Mais ils sont soumis à une forte concurrence de la part des pays d’Afrique du Nord ou encore de destinations comme la Croatie ou la Slovénie. En Slovénie, la croissance du tourisme récepteur a ainsi été très rapide au cours des années 90 et depuis l’an 2000. Malgré cette concurrence, les destinations traditionnellement les plus visitées comme l’Espagne et l’Italie maintiennent leur position avec des taux de croissance de l’ordre de 3 % par an, voire un peu plus pour l’Espagne. La Turquie et la Grèce maintiennent des taux de croissance supérieurs à la moyenne de la zone.
S’agissant des recettes du tourisme international, on retrouve les mêmes pays mais classés un peu différemment. L’Allemagne, par exemple, arrive au sixième rang tandis que l’Espagne accède au deuxième rang. De même, l’Autriche a gagné de nombreuses places. La Turquie et la Grèce rentrent dans le classement des vingt-cinq pays qui enregistrent le plus de recettes. Les cinq premières places sont occupées par des pays de l’OCDE : États-Unis, Espagne, France, Italie, Royaume-Uni : à eux cinq, ils représentent près de 50 % des recettes des vingt-cinq. (La crise grecque et certains troubles récents aux frontières de la Turquie, de même que l’extension de certains « comportements » révolutionnaires ou contestataires en Méditerranée viendront certainement nuancer ce constat pour ce qui concerne 2011 et 2012.

La France est le seul pays où la durée moyenne du séjour touristique dépasse nettement trois jours. D’une manière générale, la durée de séjour diminue depuis 2003 tant pour les résidents que pour les non-résidents.

En termes d’utilisation d’Internet par les voyageurs, on a observé que plus de 25 % des personnes interrogées en Norvège, en Islande, en Finlande, au Danemark et en Suède, mais aussi au Canada, au Luxembourg et aux Pays-Bas, ont réservé leurs billets ou leur hébergement par voie électronique.


Bonnes pratiques

Le chapitre 4 détaille les profils par pays, à la fois sur le plan de l’organisation des politiques du tourisme, que sur celui des statistiques de fréquentation et des données économiques. Nous n’avons extrait que certains faits qui nous semblaient les plus saillants par leurs spécificités ou pour l’esprit d’innovation. Nous reviendrons plus tard sur les mesures d’incitation économique qui sont nombreuses et visent la rationalisation, comme une meilleure connaissance des impacts:

Autriche : Afin de promouvoir l’excellence dans l’industrie touristique, ce pays a créé en 1999 le prix national du tourisme, qui est décerné tous les deux ans par le ministère aux acteurs innovants du secteur. Le prix porte à chaque fois sur un thème particulier (les jardins d’Autriche, par exemple, en 2007). En 2009, il récompensait l’efficacité énergétique. En 2008, le prix national de l’architecture est allé à des réalisations touristiques. Le ministère fait prévaloir la recherche, la constitution de réseaux et l’innovation dans l’industrie touristique, et rassemble les acteurs concernés pour favoriser l’approfondissement ou le partage de connaissances sur certains aspects et soutenir la mise au point de produits nouveaux. Entre autres initiatives, notamment dans le domaine du tourisme culturel, il faut citer la création des réseaux « Imperial Austria – Residences » et « Creative Austria ». S’ajoutent des travaux engagés dans des domaines comme les parcs nationaux et naturels, ou dans le cadre de la plateforme de coordination entre les Länder et l'administration nationale évoquée précédemment.


Salzbourg, Autriche.

Belgique : La Flandre a participé au projet européen STREAM qui vise à promouvoir des moyens de transport individuels économes en énergie pour les loisirs et le tourisme. Grâce au soutien apporté dans le cadre du projet STREAM, 16 destinations flamandes ont pu prendre des initiatives en faveur d’une mobilité durable et sensibiliser la population à cet impératif pour ses déplacements à des fins récréatives. Toerisme Vlaanderen élabore actuellement des orientations à l’intention des destinations touristiques pour leur permettre d’établir leur propre plan de mobilité durable, à partir des enseignements tirés du projet STREAM.


Musée gallo-romain à Tongres, Belgique.

Espagne : En 2009 (de septembre à décembre), 800 formations ont été organisées dans 40 destinations à travers l’Espagne, attirant plus de 12 000 personnes. Vingt-six manuels de bonnes pratiques sur l’attention accordée à la clientèle ont été rédigés. Les professionnels du secteur seront ainsi en mesure d’évaluer leurs propres performances en ce qui concerne l’attention accordée au détail. Le projet a son propre site Web où les utilisateurs peuvent trouver les détails du programme et de la documentation à télécharger et échanger des avis sur le projet. Toujours dans le cadre du projet Anfitriones, le programme Destino en Detalle (Attention au détail dans les destinations) améliorera la qualité des destinations telle qu’elle est perçue par les clients. À cette fin, un ensemble de mesures a été élaboré pour encourager l’adoption de bonnes pratiques en termes d’amélioration des destinations de manière à faire ressortir leurs particularités et leur singularité. À partir d’un portail personnalisé, les responsables locaux peuvent évaluer leurs propres performances pour les améliorer.


Jardins de l'Alhambra. Grenade, Espagne.

Hongrie : La promotion du patrimoine touristique est une priorité nationale dans le cadre de la Stratégie nationale de développement du tourisme. Pour promouvoir la gastronomie et les vins hongrois, l’Office national hongrois du tourisme organise chaque année le « jeudi des gourmands », les restaurants offrant à cette occasion une réduction de 50 % sur les plats figurant sur leurs cartes. Le « jeudi des gourmands » suit le mercredi des cendres, qui marque le début du Carême avant Pâques. Il évoque les traditions du folklore chrétien et hongrois, lorsque l’on pouvait se laisser aller à la gourmandise avant le début du Carême.

Château Esterhazy. Hongrie et ci-dessous, sur la Route de Saint-Paul. Turquie.
Turquie : Le ministère de la Culture et du Tourisme a mené à bien de nombreux projets ces dernières années. Parmi eux, ceux qui portent sur la création et la mise en place d’itinéraires touristiques sont particulièrement importants. Des itinéraires tels que la Voie lycienne, le Chemin de Saint-Paul et la Route de la soie rassemblent de nombreuses destinations touristiques différentes dans un seul itinéraire. Ils ont été conçus avec des objectifs ambitieux, par exemple la volonté d’ouvrir et de mettre en valeur des cités culturelles ayant une importance majeure dans le pays. Ces itinéraires permettent aux touristes voyageant individuellement ou en groupes de découvrir la Turquie historique et culturelle, en s’appropriant le patrimoine culturel de multiples époques et périodes différentes du passé du pays. Un programme conjoint, intitulé « Alliances pour le tourisme culturel dans la province de Kars », axé du point de vue géographique sur la région d’Anatolie orientale, à la frontière avec la Géorgie et l’Arménie, a été lancé en novembre 2008 et prendra fin en décembre 2010.
Ce programme fédère les compétences respectives de quatre organismes des Nations Unies (PNUD, UNESCO, OMT, UNICEF) en coordination avec le ministère de la Culture et du Tourisme. Il s’inspire du Neuvième Plan de développement (2007-2013), du Plan d’action stratégique pour le tourisme (2007-2013) et de la Stratégie du tourisme à l’horizon 2023. Il mobilise les valeurs culturelles en en faisant des atouts pour la promotion touristique. Ce programme pourrait être considéré comme un modèle de gouvernance participative du point de vue de son orientation stratégique, de la hiérarchisation des priorités et de la coordination entre la protection du patrimoine culturel et les prestations de tourisme culturel. Le projet se déroule dans l’une des régions les moins développées de Turquie.

samedi 14 juillet 2012

Le tourisme et l'Europe dans les organisations internationales (I)


On ne peut oublier une des raisons majeures pour lesquelles il est pertinent de poser ainsi en permanence la question de la « DestinationEurope » lorsqu’on s’intéresse au tourisme. En période de crise, la réussite ou plutôt le rebond économique constitue un mot d’ordre qui prime avant tout autre. La Communication de la Commission Européenne adressée à toutes les autres instances de codécision de L’Union européenne en juin 2010 est claire : les pays de l’Union demeurent au total la première destination touristique au monde.


Les chiffres cités en 2010 doivent être réévalués à la hausse, mais je les garderai tels puisque je cite cette Communication : « …avec 370 millions d’arrivées de touristes internationaux pour l’année 2008, soit 40 % des arrivées à travers le monde, parmi lesquels 7,6 millions en provenance des pays BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine), en nette croissance par rapport à 4,2 millions en 2004. Ces arrivées ont généré des revenus de l'ordre de 266 milliards d'euros, dont 75 milliards d'euros par des touristes venant d'en dehors de l'Union. Quant aux voyages effectués par les ressortissants européens eux-mêmes, ils sont estimés à environ 1,4 milliard, dont environ 90 % ont lieu au sein de l’UE

Un jour de juillet devant Notre-Dame à Paris
Mais ce serait bien entendu très réducteur de n’examiner que les politiques touristiques mises en place entre les vingt-sept et certains de leurs voisins, même si l’objectif est d’abord la compétitivité commune de vingt-sept partenaires : « L'amélioration de la compétitivité du tourisme dans l'UE joue un rôle crucial pour la réalisation des objectifs de la stratégie de l'UE pour la croissance et l'emploi. Dans ce contexte, le secteur du tourisme doit absolument relever plusieurs défis, parmi lesquels le vieillissement de la population, la croissance de la concurrence mondiale, le développement durable et l'évolution de la demande pour certaines formes de tourisme. » lit-on dans les textes.


Toutes les composantes de l’Union européenne mettent en avant la lutte contre la crise économique, parfois un peu comme un garde-fou en insistant sur la chance d’un changement du modèle de développement, mais le plus souvent comme un mot d’ordre incantatoire. Cependant d’autres organisations dans le monde et en Europe ont reçu des compétences en matière de tourisme européen et leurs préoccupations sont à la fois beaucoup plus larges et parfois plus fondamentales, je veux dire par là qu’elles ont pour mission d’examiner les évolutions et de tenter de prévoir les scénarios du futur. Elles exercent parfois des compétences directes parce qu’elles sont chargées de réfléchir, de surveiller, de veiller, ou même d’encadrer des pratiques liées au tourisme. Ou bien elles ont reçu des compétences  indirectes parce qu’elles sont à l’origine de labels qui donnent par contrecoup de la visibilité touristique aux lieux et manifestations visités, ou bien qu’elles ont – j’allais écrire au contraire - pour mission d’éviter une sur-fréquentation touristique ou d’en mesurer l’impact et les conséquences néfastes afin d’éviter les dérives.
Ces premiers posts ne visent qu’à esquisser les différences et les complémentarités entre ces organisations.

Tourisme à l’échelle mondiale

 


L’Organisation mondiale du tourisme dont le siège est à Madrid est une institution spécialisée des Nations Unies et la principale organisation internationale dans son domaine de compétence. Elle fait office de tribune mondiale pour les questions de politique touristique et elle est une source d’échanges d’informations et de savoir-faire. Elle regroupe 161 pays et territoires et plus de 409 Membres affiliés représentant le secteur privé, des établissements d’enseignement, des associations de tourisme et des autorités touristiques locales. Précédée depuis 1947 par l’Union internationale des organismes officiels de tourisme (UIOOT), la première Assemblée générale de l’OMT se réunit en mai à Madrid à l’invitation du gouvernement de l’Espagne. Robert Lonati est élu premier Secrétaire général et l’Assemblée décide d’établir à Madrid le siège de l’Organisation. Du fait de son rattachement au système des Nations Unies dans les années 2000, elle met bien entendu plus clairement en avant certaines des valeurs fondamentales de l’Organisation mondiale pour la paix, mais en fait cette préoccupation a toujours été présente, même quand l’organisation ne bénéficiait que de la coopération de commissions régionalisée. C’est ainsi qu’en 1967 elle adopte l’idée d’une Année internationale du tourisme (AIT) avec pour thème « Le tourisme, passeport pour la paix ». Au cœur de ses missions, le type de développement visé est clairement exprimé : « L’OMT encourage l’application du Code mondial d’éthique du tourisme afin de maximiser les bienfaits socioéconomiques du tourisme tout en limitant à un minimum ses possibles incidences négatives. L’Organisation a pris l’engagement de promouvoir le tourisme en tant qu’instrument pour atteindre les objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) établis par les Nations Unies dans l’optique de faire reculer la pauvreté et de favoriser le développement durable. »

Un dimanche matin à Madrid au marché des antiquaires
Mais cette noble déclaration d’intention est mise en avant sans oublier l’importance croissante de ce secteur économique et le fait qu’il s’agit d’une véritable industrie mondialisée dont les secteurs d’activités les plus importants participent à quelques-uns des pires excès de la mondialisation : « Aujourd’hui, le volume d’affaires du secteur touristique égale, voire dépasse celui des industries pétrolière, agroalimentaire ou automobile. Le tourisme est désormais un des grands acteurs du commerce international et, en même temps, il constitue une des principales sources de revenus de beaucoup de pays en développement. Cette croissance va de pair avec l’accentuation de la diversification et de la concurrence entre les destinations. » Elle va aussi de pair avec la multiplication des vols commerciaux et de leurs effets polluants, ainsi qu'avec un accueil touristique fondé sur une concentration capitalistique avec les pays émetteurs et les compagnies de transport à bas coût, aux dépens des pays récepteurs. Sans parler de l’effet de destruction des réunions de masse sur les même sites.
Les chiffres sont en effet parlants : De 1950 à 2011, les arrivées du tourisme international ont progressé à un rythme annuel de ‎‎6,2 %, passant de 25 millions à 980 millions. Le milliard est attendu pour cette année puisque l’OMT prévoit une croissance des arrivées de touristes internationaux entre 3% et 4% en 2012.

Règlement pour les cars à Paris
En compensation des excès et j’allais dire en prélevant une cotisation sur les pays émetteurs et récepteurs les plus riches, cette organisation est en particulier destinée à aider les pays émergents et sous-développés à structurer – et à protéger – leur offre, mais l’OMT se tourne également vers ceux où le tourisme a régressé pour des raisons conjoncturelles, comme par exemple le Japon aujourd’hui. Du point de vue médiatique, elle est à l’origine de la  « Journée Mondiale du Tourisme » qui s’adressera cette année à la dimension de durabilité et connaît sa contrepartie en Europe, la « Journée Européenne du Tourisme »  dont le thème européen est consacré cette année 2012 à la saisonnalité et au tourisme côtier et maritime.


Il est toujours intéressant de consulter la liste des activités prioritaires de l’OMT où une partie de celles-ci n’est d’ailleurs exprimée qu’en langue anglaise, mais dont chacune bénéficie d’un site web spécialisé : « Consulting Unit on Tourism and Biodiversity », « Hotel Energy Solutions », « Protect Children » (une task force), « Tourisme et réduction de la pauvreté » et « Tourcom » cette dernière visant à rationaliser les moyens de communication, ce qui à la lecture du site web ne semble pas la tâche la plus facile.

Hotel Energy Solutions

La Route de la Soie qui figurait dans cette liste de priorités à la fin de l’an passé est devenue un projet qui doit maintenant trouver ses propres forces pour son développement futur en additionnant toutes les impulsions et les apports des parties prenantes, ce qui n’est pas rien puisque le projet se présente sans complexe comme « la route la plus importante dans l’histoire de l’humanité ». Nous aurons l’occasion d’y revenir plus en détails pour ce qui concerne l’Europe et l’histoire même de ce projet durant la décennie culturelle de l’UNESCO (les pays du Caucase du sud, la Bulgarie et la Croatie ont rejoint le projet). Une réunion aura lieu en septembre 2012 dans un des pays membres du Conseil de l’Europe, l’Azerbaïdjan de manière à mettre en évidence les saveurs de cette route et de tenter de lui donner un essor parmi les routes gastronomiques du monde.

Marché aux bestiaux. Kashgar. Route de la soie...et de l'Olivier 2007.
En ce qui concerne l’Europe proprement dite, une publication téléchargeable a été réalisée assez récemment par l’OMT. En dehors d’une présentation récurrente des programmes généraux de l’organisation, elle vise à souligner quelques-uns des objectifs communs aux quarante-quatre pays membres dits européens. Les sous-régions de la Mer Noire, des Carpates et du Sud-Caucase - Caspienne bénéficient d’une certaine priorité de réflexion et d’action par rapport à l’Europe occidentale où se situe comme on le sait la fréquentation majeure mondiale en matière de tourisme. On y trouvera des statistiques datant cependant de 2010. La plus récente des réunions de la région Europe a eu lieu à Batumi, une station de la Mer Noire géorgienne: “54thMeeting of the UNWTO Commission for Europe and Seminar on “Branding TourismDestinations in a Connected World”.


On ne manifestera aucun étonnement à constater à la lecture du thème choisi que le problème qui semble le plus à la mode dès qu’il s’agit de l’Europe (y compris des itinéraires culturels européens) est celui de l’importance de trouver une marque qui distingue cette destination des autres, ou bien encore chaque destination dans une cohérence avec les autres territoires de la même zone de chalandise. On ne s’étonnera pas non plus que les mêmes spécialistes interviennent à tous les niveaux des organisations avec des discours stéréotypés qu’ils changent à peine selon les publics. Soit l’Europe est envisagée par ces experts comme une union économique plutôt occidentale de vingt-sept pays qui doivent définir un label cadre, comme le recherche en ce moment l’Union européenne. Soit la conception de l’Europe repose sur un ensemble d’itinéraires et de réseaux thématiques qui doivent à tous prix trouver une cohérence, comme le fait le Conseil de l’Europe dans un  ensemble géographique et culturel allant de l’Atlantique à l’Oural. Ou encore, comme l’envisage l’OMT pour ses membres, l’effort de cohérence s’exerce dans un espace s’étendant de l’Atlantique à la Caspienne.

Batumi by night. 2008.

Pour se faire une opinion, on peut télécharger toutes les communications de cette réunion sous forme de powerpoint. « A brand is a promise made to the consumer » affirme l’une d’entre-elles, tandis que l’introduction au colloque exprime cette remarque sans équivoque : « Brands are a promise, a set of values and ideas. Brands attach an emotional value to any destination. Our emotions are unique. Tourism is all about living experiences and feeling new sensations and this is why tourism destinations must be branded. This seminar will help to achieve greater awareness about the added value of effective brand design, development and management.” Et pour être complet: “When everyone is talking about the importance of local identities, authenticity and uniqueness, can local branding really fit in with regional and national branding?” s'interroge Eulogio Bordas représentant de THR - Innovative Tourism Consultants.

C’est ainsi que le délégué de la Roumanie a longuement commenté comment ce pays, enclave verte débouchant sur la Mer Noire, était devenu dans la sémantique touristique des experts « Le jardin des Carpates », un slogan confié à quelques ambassadeurs sportifs nationaux afin qu’ils le popularisent dans le monde entier.

Par ailleurs, on pourra lire une très intéressante étude prévisionnelle présente des hypothèses de développement jusqu’en 2030.


En tout cas, grâce à la communication de THR - Innovative Tourism Consultants vous saurez tout sur ce qui se passe dans la tête ou plutôt le cerveau du consommateur quand il s’agit d’identifier une marque. Reste à savoir si on veut s’adresser à des consommateurs au sens traditionnel du marché ou à des esprits curieux qui veulent seulement qu’on leur donne les éléments de connaissance qui leur manquent et des clefs pour aller plus loin. On a parfois envie d’un peu moins de théorie sur la marque Europe, un peu plus de réflexion sur la destination Europe et d’encore plus d’effort de réflexion sur la nature et les composantes de la dimension imaginaire Europe.



Devant cette nécessité du « branding », une nouvelle idéologie est en train de naître – au sens d’un corpus d’idées –, celle de l’identité de marque qui tend à remplacer une autre idéologie qui a été prédominante très longtemps, celle de l’identité culturelle « pure » et « authentique », appliquée en particulier au monde rural comme destination. Comme l’affirmait Rachid Amirou il y a déjà vingt ans « La notion d’imaginaire nous aide à décrire simplement les relations entre un sujet et d’autres domaines où s’exerce l’activité de l’esprit : art, pensée, mythe, religion et tourisme. » en ajoutant « Le langage des touristes formule des jugements esthétiques en des lieux et à des moments où on ne les attend pas toujours. »
S’agit-il de rendre les touristes conformes aux marques ou de les laisser eux-mêmes élaborer des liens sociaux dans une pluralité de valeurs et un pluralisme esthétique à partir de propositions ouvertes ? Je pense qu’on aura compris, avec tout le respect que je dois aux spécialistes du marketing, que je penche et ai toujours penché pour la deuxième démarche.


Remarques : “Accordingly, the European economy has not been left unaffected by the impact of the global economic crisis whose immediate repercussions have been most notable in the tourism sector. The mature economy of Europe is expected to struggle in 2012. As WTTC indicates, the prospects for Travel & Tourism growth in Europe for 2012 are precarious. Current forecasts suggest a 0.3% increase in Travel & Tourism direct GDP for the region overall, but this will be propped up by newer economies such as Poland and Russia. A decline of 0.3% is expected across the European Union. Consumer spending is set to tighten as austerity measures kick in, and there continues to be considerable uncertainty around the future of the euro-zone and the peripheral economies of Greece, Spain, Italy and Portugal. Despite the gloomy forecasts, the tourism industry will never cease to be an integral component of the European economy and a significant driver for growth and employment. The year 2012 may be another year full of challenges for Europe but, hopefully, tourism will survive these as it has overcome a wide range of obstacles since the onset of the 21st century.” (Mr. Spyridon Parthenis, Head of the International Relations Directorate, General Secretariat of Tourism, Ministry of Culture and Tourism of Greece, Chairman of the UNWTO Commission for Europe).

jeudi 5 juillet 2012

Le Tourisme en Trois vagues


Lorsque j’ai débuté la rédaction de ce blog sur la « Destination Europe », j’ai souhaité inscrire d’emblée un court historique expliquant les incertitudes qui ont prévalu pour qu’une politique européenne commune se mette en place de manière à ce que l’Europe ne se présente plus en ordre dispersé à la clientèle internationale et que, par la même occasion, les touristes venus des différents pays européens, y compris ceux qui vivent dans les pays membres du Conseil de l’Europe et ne faisant pas encore partie de l’Union Européenne, se voient proposés des parcours cohérents, des solutions intelligentes, des propositions inédites qui leur permettent de redécouvrir leur continent commun.

Après tout, j’ai l’impression que je ne faisais là que revenir aux fondamentaux du programme auquel je me suis consacré depuis vingt-cinq ans, celui des Itinéraires culturels. J’avais donc en même temps présenté les grands chapitres d’un cours préparé pour des étudiants souhaitant approfondir la manière dont les différents responsables du tourisme dans le monde et tout particulièrement en Europe envisageaient la « Destination Europe ».


Où sont les politiques touristiques ?

L’interrogation sous-jacente était bien, compte tenu des décisions prises au sein de la Commission Européenne depuis l’entrée en force du Traité de Lisbonne, celle de la réalité d’une réintégration plus volontariste des politiques touristiques au sein des politiques européennes, après une période de désamour de presque quinze années. J’avoue qu’il s’agit d’une réintégration qui prend l’allure d’une véritable contamination puisque le tourisme touche pratiquement tous les secteurs de ces politiques et en même temps dépend de leur évolution. Pour n’en citer que quelques-uns, volontairement dans le désordre : celui de la directive « santé sans frontières » qui va amener les Européens à voyager pour choisir la place de leur cure ou de leurs traitements ou celui de la difficile mise en application de la Convention deSchengen et des obstacles temporaires qui peuvent empêcher la libre circulation. Mais aussi celui de la politique de protection de l’environnement qui touche de près l’éducation des touristes en la matière, celui de la politique agricole commune et de la question de la place et du rôle des productions locales dans l’image des lieux d’accueil, ou encore des mesures concernant la pêche et des moyens de palier la crise qui touche les marins pêcheurs.


Oenogastronomie Route des Phéniciens Sicile
Les termes de l'interrogation tenaient à une évolution du marché et à un examen critique des réponses apportées par ceux qui mettent les visiteurs en mouvement, les accompagnent et les reçoivent. Il n’est pas besoin de revenir sur le fait que le développement touristique a connu une période de succès populaire étonnante depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Cette vague inédite s’est développée sur la lancée des conquêtes sociales des années trente, interrompues par le conflit.  Elle a surfé sur les changements des modes de consommation caractéristiques des « trente glorieuses » et sur des slogans mettant en avant l’importance du confort des « arts ménagers » où de la flexibilité des industries du prêt à consommer, du prêt à porter et du prêt à jeter venues des Etats-Unis, remplaçant dans la joie du « toujours nouveau » et du « toujours plus », puis du stylisme industriel, la célébration des habitudes du travail domestique manuel et du recyclage. Ces nouvelles habitudes encadrées par le marketing naissant ont conditionné la réaction positive massive vis-à-vis d’un tourisme prêt à consommer. D’une société des arts ménagers nous sommes passés insensiblement à une société des loisirs familiaux « où famille et univers des temps libres viennent télescoper les solides certitudes hiérarchiques des uns ou la vision en classes laborieuses des autres » (Jean Viard).
Mais cette vague s’est également accompagnée d’une tendance à la banalisation des offres, une tendance qui s’est poursuivie et s’est structurée durant une quarantaine d’années, faisant le succès de grands opérateurs qui ont su trouver les réponses-produits au tourisme de masse et mettre en place l’organisation logistique pour y faire face, avec un seul axe de construction du rêve soudant trois mots clefs : sea, sex and sun. Cette approche prévaut encore pour une grande partie du marché touristique.

Venise entre histoire et consommation

Loisirs et patrimonialisation
Une mutation fondamentale est cependant intervenue de manière parallèle, au fur et à mesure où le niveau général d’étude augmentait, mutation qui n'a pu atteindre l’ensemble de la filière du tourisme dans les vingt-cinq dernières années que grâce à l’arrivée d’une crise anthropologique profonde. Une crise qui est intervenue « après deux siècles d’hégémonie de la valeur travail » et a provoqué une réflexion sur le passage d’une société des loisirs à une société qui tend à laisser une partie de la population dans le loisir forcé du chômage et une mutation qui s’appuie sur un changement total des modes d’information et de communication, sans parler des bouleversements de la carte de l’Europe. On nomme cela de manière schizophrène à la fois : globalisation et repli sur soi. Le tourisme de la Destination Europe y apporte des réponses graduées qui semblent à la fois un symptôme des mutations et un remède aux inquiétudes qui naissent des bouleversements qui atteignent les fondamentaux individuels et familiaux.
« Le tourisme a dû réinventer le désir du patrimoine, de la mer, de la montagne, de la campagne…, et faire de la cité un décor qui se visite. Mise en désir « artialisation », mise en paysage, actions qui embellissent le réel et le figent en l’état de sa découverte » écrit encore Jean Viard.
Nous y reviendrons car cette « artialisation » que d’autres nomment aussi « patrimonialisation » qui étaient tellement perceptibles dans la réaction enthousiaste du public à l’exposition du Grand Palais à Paris sur les Plans-reliefs, sont déjà sujettes à une interrogation qui montre que la phase suivante a débuté dans la foulée. Nous sommes passés de la consommation du rêve exotique à la portée de tous, à la consommation du rêve élitaire à la portée de tous, celui de l’adaptation du Grand Tour aux budgets populaires, puis à un retour au partage entre les touristes et ceux qui les accueillent des valeurs du travail traditionnel dans lequel le rôle de la main, l’importance de la proximité de la production et de celle du recyclage « dans un cadre de développement durable » représentent une part croissante de l’offre. Comme souvent, trois vagues se succèdent, la dernière valant synthèse des deux premières par l’importation des technologies dans un contexte qui relie de ce fait besoin de proximité et habitude du dépaysement. Nul doute que le besoin de synthèse, d’accord et de consensus que nous éprouvons devant les pertes de repères lui fasse recouvrir les deux autres.

L’activité touristique, en traversant ces trois étapes, en les superposant et en les hybridant, a acquis une place essentielle à la fois dans les politiques économiques, les politiques d’intégration et les politiques culturelles, ceci depuis les instances européennes, jusqu’aux décisions qui se prennent au niveau le plus local.


Paris, entre artialisation et patrimonialisation

Valeur travail et valeur loisirs
Importance économique, en raison d’une résistance relative de ce secteur à la crise financière par rapport à d’autres secteurs de production dont les adaptations stratégiques passent par la casse des machines, l’abandon des hommes ou leur délocalisation. Importance en termes d’emplois et de développement local dans des territoires qui sont passés d’une société traditionnelle où l’économie familiale dominait, à une société postmoderne où les visiteurs et les retraités qui se sont délocalisés de manière permanente ont pris une place complètement inédite dans l’apport des richesses fondées sur la coactivité, voire la coresponsabilité. Importance humaine enfin par le brassage interculturel qu’implique une circulation renouée au sein d’un continent longtemps partagé géographiquement, politiquement et mentalement. Importance culturelle enfin du fait de la diversification de l’offre, de son enrichissement thématique et des changements profonds dans l’utilisation du capital temps libre et dans la vision de la valeur travail qui placent le patrimoine dans un contexte curieux où la protection doit obligatoirement se marier à la consommation, tout en aidant au dialogue des identités.

Pour ne donner qu’un exemple, mais qui est d’autant plus frappant qu’il atteint une classe qui devient majoritaire, celle des retraités actifs : le logement personnel de cette catégorie croissante de la population est à la fois quotidien et touristique puisque le temps du travail se confond de manière quasi permanente avec celui des loisirs : « …les logements qui ont « la vue » (sur mer, montagne, campagne ou même la ville) ont intégré l’art du paysage, acquis des voyages, dans l’intimité du quotidien ; sur un modèle quasi japonais d’être ensemble (si on lit attentivement Augustin Berque), où l’on fait société ensemble en partageant le regard sur le même point de vue et en le sachant mutuellement (ce qui est aussi la pratique télévisuelle) (Jean Viard). J’ajouterais que les logements qui n’ont pas la chance de disposer de cette vue, la recrée par des jardins miniatures ou le retour à une pratique du jardinage de proximité.

Provence, rêve de rettraite touristique
Mais avant d’entrer dans une forme de bilan des évolutions des comportements et de la nature des initiatives qui ont répondu à ces évolutions, il me semblait nécessaire de revenir sur la nature des compétences que les grandes institutions internationales exercent de manière complémentaire vis-à-vis du tourisme en Europe et donc des responsabilités qu’elles partagent avec plus ou moins de bonne volonté dans les réponses qu’elles proposent et parfois dans l’encadrement de cette évolution.
Ce sera l’objet des prochains posts.


Jean-Paul Clébert. Vivre en Provence. L'Aube. 1993.
Bertrand Hervieu et Jean Viard. L'Archipel paysan ou la Fin de la république agricole. L'Aube. 2001.
Hervé Le Bras. L'Adieu aux masses. L'Aube. 2005.
Jean Viard. Court traité sur les vacances, les voyages et l'hospitalité des lieux. L'Aube poche. 2006.
Jean Viard. Eloge de la mobilité. Essai sur le capital temps libre et la valeur travail. L'Aube poche. 2011.
Jeremy Rifkin. La fin du travail. La Découverte. 1996 et 2006.