mardi 2 octobre 2012

Le tourisme européen au milieu du gué


Durant deux années la Journée Européenne du Tourisme a pris pour sujet et objet le patrimoine et même cet objet patrimonial complexe que sont les itinéraires culturels, afin de se « décaler » des présentations traditionnelles habituelles où les lobbys disposent annuellement d’une tribune pour réaffirmer l’importance économique de tel ou tel secteur professionnel. Le pari était de taille puisqu’il ne s’agissait plus seulement de constater, mais de prévoir et de ce fait même d’aider ceux qui avaient pris le tournant du tourisme transfrontalier, sans attendre l’application pratique du Traité de Lisbonne. J’ai déjà expliqué en détails cette évolution et la manière dont après plus de dix années d’attente, sous l’impulsion du Vice-Président de la Commission européenne Antonio Tajani, le scénario du tourisme européen avait changé soudain de décors en tenant compte de nouveaux acteurs.

 

Trapani, Sicile. Route du sel.


La présentation de 2012 est en quelque sorte revenue sur des rails plus traditionnels en cherchant à s’équilibrer sur deux jambes : le thème de la lutte contre la saisonnalité persistante du tourisme précédant, le matin, celui du tourisme côtier, largement déployé l’après-midi dans le dynamisme d’une table-ronde. L’importance prise récemment au sein de la Commission européenne par la nécessité de diversifier les activités maritimes, tout en les protégeant des excès en tous genres (surpêche, constructions envahissantes, concentrations touristiques sauvages, ignorance de l’arrière-pays, concentration du capital dans des mains étrangères…) atteignant l’intégrité des patrimoines culturels et paysagers et même la qualité des eaux marines ce qui est le comble, répond comme dans d’autres secteurs économiques à un souci de ne pas tuer définitivement la poule aux œufs d’or.

Maria Damanaki. Commissaire  en charge des Affaires maritimes et de la pêche


Mais comme dans d’autres secteurs, l’action intervient cinq minutes avant la mort et prend une allure de sauvetage d'un moribond. La Commissaire Maria Damanaki et la Direction Générale qui ont la charge de ce secteur (Affaires Maritimes et pêche) sont placées aujourd’hui par le Parlement européen et ses pressions légitimes devant plusieurs défis de taille qui dépassent de loin les capacités de l’Union européenne, puisque l’on a affaire à un phénomène mondial dont la responsabilité incombe à tous les pays signataires des grands traités et des résolutions sur la protection de l’environnement.

Mais tout en s’appuyant sur les contradictions des pays membres et leur affirmation constante des règles de la subsidiarité (seul le Ministre du Tourisme de Malte était présent) deux Commissaires et deux Directions générales pouvaient au moins se retrouver sur un objectif commun : faire que les mers qui baignent l’Europe et que nous partageons avec d’autres continents répondent aux mêmes critères de qualité d’accueil que d’autres destinations touristiques qui ont su renouveler non seulement leur offre, mais aussi l’approche de la visite touristique elle-même.

Mario De Marco, Ministre du tourisme, de l'environnement et de la Culture de Malte

En ce sens, la Méditerranée – jusqu’à la Mer Noire, cette mer civilisatrice de trois continents, première destination nautique du monde, constitue un cas d’école où la géopolitique rejoint et même conditionne la politique des loisirs, tandis que la Mer Baltique, du fait de la réunification de l’Europe, constitue un autre champ d’exercice où les coopérations retrouvées entre les pays qui la bordent ont déjà donné lieu à des expérimentations tout à fait intéressantes. Personne n’a d’ailleurs évoqué le cas de la Mer de Barents et celui de la zone Arctique qui sont déjà pourtant placées au cœur de combats géostratégiques essentiels et où le tourisme se développera, de manière inéluctable, ne serait-ce que par une évolution climatique mondiale qui redistribuera en partie les cartes dans les cinquante années à venir et sera certainement déjà mesurable en 2020 quand l’Union européenne fera un point d’ordre sur les résultats de sa politique de croissance.

Dans tous les cas, qu’il s’agisse d’étendre les saisons du tourisme et donc de mieux répartir la fréquentation des visiteurs ou de se prévoir une politique proactive pour un développement côtier harmonieux et maîtrisé, il s’agit de diminuer les effets agressifs de la consommation de masse et donc par voie de conséquence du tourisme de masse en tenant compte des évolutions sociologiques où la pyramide des âges a singulièrement évolué depuis soixante ans et où la conception des vacances a largement évolué de l’attente passive de l’offre à la réponse active de touristes redevenus des voyageurs.

Marché aux poissons. Venise, Italie.


Avant de présenter les exemples qui ont été choisis par les responsables de la Commission européenne pour illustrer des cas de bonnes pratiques concernant les deux thèmes, je voudrais terminer cette présentation générale par une remarque sur l’évolution du cadre de la politique touristique lancée avec beaucoup de courage et de détermination en 2010. Il ne reste que deux années pour finir d’en installer les instruments avant le changement de Commission et les élections européennes, même si le combat pour l’augmentation significative du budget tourisme après 2014 semble gagné, ce qui devrait permettre d’enraciner réellement certaines actions.

Et parmi ces instruments viennent en premier la création d’un observatoire sur le tourisme à l’échelle européenne et la mise en place d’un label de qualité qui puissent permettre de disposer des outils de gouvernance d’une marque « Europe » pour ne pas reprendre le terme anglais du « branding » dont on peut se demander s’il peut vraiment caractériser une politique de renommée à l’échelle d’un continent aussi diversifié et mouvant.

Sans ces instruments, mis au service du renforcement du succès d’une destination, l’Europe essentiellement perçue comme « culturelle » par ses visiteurs mondiaux, les premiers efforts du plan qui sont des réussites encore fragiles pourraient être mis en danger. Ce plan qui affirmait – enfin – le caractère patrimonial et identitaire du tourisme européen et qui a créé les occasions de rapprocher les acteurs qui en sont les plus convaincus (Coopération en matière d’itinéraires culturels labellisés par le Conseil de l’Europe, « Crossroads of Europe », aide aux régions constituées en réseaux, label EDEN…) s’affronte, comme le soulignait justement Antonio Tajani à l’ouverture de cette journée, à la troisième révolution industrielle, celle de la communication et des industries de la connaissance.

Ouverture de la JET. Antonio Tajani et Pedro Ortun (écran)
Parler comme l’a fait le Commissaire de « voyages pour la croissance » en évoquant la politique volontariste des « 50.000 touristes » concernant les pays émetteurs d’Amérique latine et en souhaitant une évolution significative de la délivrance des visas touristiques pour faciliter les visites, est certes d’actualité, si on en croit les statistiques qui marquent la résistance de ce secteur d’activité en Europe par rapport aux industries lourdes.

Mais il faudrait aussi pouvoir mesurer dans le cadre de l’observatoire l’impact de « voyages pour la connaissance » comme le sont les démarches des itinéraires culturels qui, fort heureusement ne sont pas solubles dans l’ingénierie touristique traditionnelle.
A mon sens, l’un ne va pas sans l’autre car le phénomène touristique est loin d’avoir fini de muter.

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